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les mille nuits et une nuit

douce à changer en miel l’amertume de la myrrhe, il lui demanda s’il ne manquait de rien et s’il avait eu sa part des biens d’Allah sur Ses créatures. Et il vint s’asseoir tout près de lui, avec grâce et élégance, et, en s’asseyant, il découvrit, sans le faire exprès, sa cuisse qui était blanche et tendre comme une pâte d’amandes. Et c’est alors que le poète aurait pu dire en toute vérité, sans crainte d’être démenti :

Une cuisse, ô Croyants, toute de perles et d’amandes ! Ne vous étonnez donc pas si c’est aujourd’hui la Résurrection, car on ne surgit jamais mieux que lorsque les cuisses sont à jour !

Mais le derviche, en se voyant seul avec le jouvenceau, loin de se laisser aller vis-à-vis de lui à des privautés de quelque ordre que ce fût, recula de quelques pas de l’endroit où il était, pour aller s’asseoir un peu plus loin sur la natte, dans une attitude incontestable de décence et de respect de soi-même. Et là il continua à le regarder en silence, avec des larmes pleins les yeux, et en proie à la même émotion qui l’avait immobilisé sur le banc de la boutique. Et Kamar fut bien surpris de cette façon d’agir du derviche ; et il lui demanda pourquoi il l’évitait et s’il avait à se plaindre de lui, ou de l’hospitalité de leur maison. Et le derviche, pour toute réponse, récita d’une manière très sentie ces belles paroles du poète :

« Mon cœur est épris de la Beauté, car c’est par l’amour de la Beauté qu’on atteint au sommet de la perfection.