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histoire de kamar et de l’experte halima
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Seigneur, Tu as créé la Beauté pour nous enlever la raison, et Tu nous dis : « Craignez ma réprobation ! »

Seigneur, Tu es la source de toute beauté, et Tu aimes ce qui est beau ! Comment feraient tes créatures pour s’empêcher d’aimer la beauté ou réprimer leur désir devant ce qui est beau ?

Lorsque le marchand Abd el-Rahmân se vit ainsi au milieu des rangs serrés des hommes et des femmes debout entre ses mains et immobiles à contempler son enfant, il fut à la limite de la perplexité, et se mit, en son âme, à charger son épouse de malédictions et à l’injurier de toutes les injures qu’il eût voulu lancer à ces importuns, la rendant responsable de ce qui lui arrivait de si notoirement contrariant. Puis, à bout d’arguments, il repoussa avec rudesse ceux qui l’entouraient et gagna en hâte sa boutique, qu’il ouvrit pour, aussitôt, y installer Kamar, mais de façon à ce que les importunités des passants ne pussent l’atteindre que de loin. Et la boutique devint le point d’arrêt de tout le souk ; et l’attroupement des grands et des petits devint plus intense d’heure en heure : car ceux qui avaient vu voulaient voir davantage, et ceux qui n’avaient pas vu s’appliquaient de toutes leurs forces à voir quelque chose.

Et voici que, sur ces entrefaites, s’avança du côté de la boutique un derviche au regard extatique qui, sitôt qu’il eut aperçu le beau Kamar assis près de son père, et si beau, s’arrêta en poussant de profonds soupirs et, d’une voix extrêmement émue, récita cette strophe :