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les mille nuits et une nuit

sure qu’il montait, il voyait le sol se couvrir de blocs de basalte noir, qui figuraient des humains pétrifiés. Et il ne savait pas que c’étaient les corps des jeunes seigneurs qui l’avaient précédé en ces lieux de désolation. Et soudain, d’entre les rochers, un cri se fit entendre qu’il n’avait jamais de sa vie entendu, et qui fut bientôt suivi, à droite et à gauche, par d’autres cris qui n’avaient rien d’humain. Et ce n’étaient ni les hurlements des vents sauvages dans les solitudes, ni les mugissements des eaux des torrents, ni le bruit des cataractes qui s’engouffrent dans les abîmes, car c’étaient les voix de Ceux de l’Invisible. Et les unes disaient : « Que veux-tu ? Que veux-tu ? » Et d’autres disaient : « Arrêtez-le ! Tuez-le ! » Et d’autres disaient : « Poussez-le ! Précipitez-le ! » Et d’autres le raillaient, criant : « Ho ! Ho ! Le mignon ! Le mignon ! Ho ! Ho ! Viens ! Viens ! »

Mais le prince Farid, sans se laisser détourner par ces voix, continua à monter avec constance et fermeté. Et les voix se firent bientôt si nombreuses et si terribles, et, des fois, leur souffle passait si près de son visage, et si effrayant devenait leur vacarme, tant à droite qu’à gauche, en avant qu’en arrière, et si menaçantes elles étaient et si pressant se faisait leur appel, que le prince Farid fut saisi malgré lui de tremblement et, oubliant l’avis du Vieillard de l’Arbre, il tourna la tête sous un souffle plus fort de l’une des voix. Et, au même moment, un épouvantable hurlement poussé par des milliers de voix fut suivi par un grand silence. Et le prince Farid fut changé en une pierre de basalte noir.