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les mille nuits et une nuit

Nour, en lui lançant une œillade extraordinaire ; puis elle tira de dessous son voile un sac de satin vert ; et elle l’ouvrit et y prit trente-deux petits morceaux de bois qu’elle joignit deux à deux, comme se joignent les mâles aux femelles et les femelles aux mâles, et finit par en former un beau luth indien. Et elle releva ses manches jusqu’aux coudes, découvrant ainsi ses poignets et ses bras, pressa le luth sur son sein, comme une mère presse son enfant, et le chatouilla avec les ongles de ses doigts. Et le luth, à ce toucher, frémit et gémit en résonnant ; et il ne put s’empêcher de songer tout à coup à sa propre origine et à sa destinée : il se rappela la terre où il avait été planté, arbre, les eaux qui l’avaient arrosé, les lieux où il avait vécu dans l’immobilité de sa tige, les oiseaux qu’il avait abrités, les bûcherons qui l’avaient abattu, l’habile ouvrier qui l’avait façonné, le vernisseur qui l’avait revêtu d’éclat, le vaisseau qui l’avait apporté, et toutes les belles mains entre lesquelles il avait passé. Et, à ces souvenirs, il gémit et chanta avec harmonie, et sembla répondre dans son langage aux ongles qui l’interrogeaient, par ces couplets rythmés :

Autrefois j’étais un rameau vert habité par les rossignols, et je les balançais amoureusement quand ils chantaient.

Ils me donnaient ainsi le sentiment de l’harmonie ; et je n’osais agiter mon feuillage, pour les écouter attentivement.

Mais une main barbare, un jour, me renversa par