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histoire du jeune homme mou
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encore en mollesse, et je fis le mort tout à fait. Et ma mère me supplia et me conjura de toutes les manières, par le nom d’Allah et par le tombeau de mon père, et par tout ! Mais ce fut en vain ! Car je fis semblant de ronfler. Alors elle me dit : « Par les vertus du défunt ! je jure, ô Abou-Môhammad-les-Os-Mous, que si tu ne veux pas m’écouter et m’accompagner chez le cheikh, je ne te donnerai plus à manger ni à boire, et que je te laisserai mourir d’inanition ! » Et elle dit ces paroles d’un ton si résolu, ô émir des Croyants, que je compris qu’elle mettrait cette fois ses paroles à exécution ; et je fis entendre un sourd grognement qui signifiait : « Aide-moi à m’asseoir ! » Et elle me prit le bras et m’aida à me lever et à m’asseoir. Alors moi, épuisé de fatigue, je me mis à pleurer, et, entre mes gémissements, je soupirai : « Donne-moi mes savates ! » Et elle me les apporta, et je lui dis : « Passe-les-moi aux pieds ! » Et elle me les passa aux pieds. Et je lui dis : « Aide-moi à me mettre debout ! » Et elle me souleva et me fit tenir debout. Et moi, gémissant à rendre l’âme, je lui dis : « Soutiens-moi pour que je marche ! » Et elle vint derrière moi et me soutint, en me poussant doucement pour me faire avancer. Et moi, je me mis à marcher d’un pas lent, en m’arrêtant à chaque pas pour souffler, et en penchant la tête sur mes épaules comme pour rendre l’âme. Et je finis par arriver sur le bord de la mer, en cette posture, auprès du cheikh Mouzaffar, entouré de ses proches et amis, qui se disposait à s’embarquer pour le départ. Et mon arrivée fut accueillie avec stupéfaction par tous les assistants