Page:Le livre des mille nuits et une nuit, Tome 10, trad Mardrus, 1902.djvu/261

Cette page a été validée par deux contributeurs.
histoire du dormeur éveillé
257

Sucre lui posa le turban sur le visage ; et, la chevelure défaite, elle se mit à se frapper les joues et la poitrine en poussant les cris de deuil. Et, à ce moment, entra la vieille nourrice. Et elle vit ce qu’elle vit ! Et, fort triste, elle s’approcha de l’éplorée Canne-à-Sucre et lui dit : « Qu’Allah reporte sur ta tête les années perdues par le défunt ! Hélas, ma fille Canne-à-Sucre, te voilà seule, dans le veuvage au milieu de ton adolescence ! Que vas-tu devenir sans Aboul-Hassân, ô Canne-à-Sucre ? » Et elle se mit à pleurer avec elle un certain temps. Puis elle lui dit : « Hélas, ma fille, il faut que je te quitte, bien qu’il m’en coûte beaucoup. Mais je dois retourner en toute hâte auprès de ma maîtresse Sett Zobéida pour la délivrer de l’affligeante inquiétude où l’a plongée ce menteur effronté, l’eunuque Massrour, qui lui a affirmé que la mort t’avait frappée, toi, à la place de ton époux Aboul-Hassân ! » Et Canne-à-Sucre dit, en gémissant : « Plût à Allah, ô ma mère, que cet eunuque eût dit vrai ! Je ne serais plus là pour le pleurer comme je le fais ! Mais d’ailleurs cela ne va plus tarder beaucoup ! Demain matin, au plus tard, on m’enterrera, morte de douleur. » Et, disant ces paroles, elle redoubla ses pleurs, ses soupirs et ses lamentations. Et la nourrice, plus attendrie que jamais, l’embrassa encore une fois et sortit lentement, pour ne point la troubler, et referma la porte derrière elle. Et elle alla rendre compte à sa maîtresse de ce qu’elle avait vu et entendu. Et, lorsqu’elle eut fini de parler, elle s’assit hors d’haleine d’en avoir tant fait pour son grand âge.