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histoire du dormeur éveillé
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l’instant, ô vieille exécrable ! Tu es folle de me confondre avec ton fils ! Je suis Haroun Al-Rachid, émir des Croyants, maître de l’Orient et de l’Occident ! » Elle se donna des coups au visage, et dit, en se lamentant : « Qu’Allah confonde le Malin ! Et que la miséricorde du Très-Haut te délivre de la possession, ô mon enfant ! Comment une chose aussi insensée peut-elle entrer dans ton esprit ? Ne vois-tu pas que cette chambre où tu es est loin d’être le palais du khalifat, et que depuis ta naissance tu y as toujours vécu, et que jamais tu n’as habité ailleurs qu’ici, jamais avec d’autres personnes que ta vieille mère qui t’aime, mon fils, ya Aboul-Hassân ! Écoute-moi, chasse de ta pensée ces rêves vains et dangereux qui t’ont hanté cette nuit, et bois, pour te calmer, un peu de l’eau de cette gargoulette ! »

Alors, Aboul-Hassân prit la gargoulette des mains de sa mère, but une gorgée d’eau, et dit, un peu calmé : « Il se peut bien, en effet, que je sois Aboul-Hassân ! » Et il baissa la tête et, la main appuyée sur la joue, il réfléchit pendant une heure de temps, et, sans lever la tête, il dit, se parlant à lui-même comme quelqu’un qui sort d’un profond sommeil : « Oui, par Allah ! il se peut bien que je sois Aboul-Hassân ! Je suis Aboul-Hassân, sans aucun doute ! Cette chambre est ma chambre, ouallahi ! Je la reconnais maintenant ! Et toi, tu es ma mère, et je suis ton fils ! Oui, je suis Aboul-Hassân ! » Et il ajouta : « Mais par quel sortilège ai-je donc pu avoir ma raison envahie par de telles folies ? »

En entendant ces paroles, la pauvre vieille pleura de joie, ne doutant plus que son fils ne se fût tout à