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les mille nuits et une nuit

je pris l’or réalisé avec la première part, et me mis à le dépenser, la paume ouverte, dans la société des adolescents de mon âge que je régalais et entretenais pour mon plaisir avec une largesse et une générosité d’émir. Et je n’épargnai rien pour que notre vie fût pleine de délices et d’agrément. Or, en agissant de la sorte, je trouvai qu’au bout d’une année il ne me restait plus un seul dinar au fond de la cassette, et je me tournai vers mes amis, mais ils avaient disparu. Alors je me mis à leur recherche, et leur demandai à mon tour de m’aider dans la situation pénible où je me voyais. Mais tous, l’un après l’autre, me donnèrent un prétexte qui les empêchait de me venir en aide, et nul d’entre eux ne consentit à m’offrir de quoi vivre, ne fût-ce qu’un seul jour. Alors moi je rentrai en moi-même, et compris combien mon défunt père avait eu raison de m’élever dans la sévérité. Et je revins à ma maison, et me mis à réfléchir sur ce qu’il me restait à faire. Et c’est alors que je m’arrêtai à une résolution que depuis lors je tins sans faiblir. Je jurai, en effet, devant Allah de ne jamais plus fréquenter les gens de mon pays, et de n’hospitaliser dans ma maison que les étrangers ; mais, en outre, l’expérience m’apprit que l’amitié courte et chaude était de beaucoup préférable à l’amitié longue et qui finit mal, et je fis le serment de ne jamais fréquenter deux jours de suite le même étranger invité dans ma maison, fût-il le plus charmant et le plus délicieux d’entre les fils des hommes ! Car j’avais bien senti combien étaient cruels les liens de l’attachement, et combien ils empêchaient de goûter dans leur plénitude les joies de l’amitié. Ainsi donc,