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les mille nuits et une nuit

compagnie toute la nuit et n’épargnait rien pour lui donner la meilleure idée de sa générosité. Mais le lendemain il lui disait : « Ô mon hôte, sache que si je t’ai invité chez moi, alors que dans cette ville Allah seul te connaissait, c’est que j’avais des raisons qui me poussaient à agir de la sorte. Mais j’ai fait le serment de ne jamais fréquenter deux jours de suite le même étranger, fût-il le plus charmant et le plus délicieux d’entre les fils des hommes. Ainsi donc me voici obligé de me séparer de toi ; et même je te prie, si jamais tu me rencontres dans les rues de Baghdad, de faire semblant de ne pas me reconnaître, pour ne point m’obliger à me détourner de toi ! » Et, ayant ainsi parlé, Aboul-Hassân conduisait son hôte à quelque khân de la ville, lui donnait tous les renseignements dont il pouvait avoir besoin, prenait congé de lui et ne le revoyait plus. Et si, par hasard, il lui arrivait plus tard de rencontrer dans les souks un des étrangers qu’il avait reçus chez lui, il feignait de ne pas le reconnaître, ou même il tournait la tête d’un autre côté, pour n’être point obligé de l’aborder ou de le saluer. Et il continua à agir de la sorte, sans jamais manquer un seul soir d’amener à sa maison un nouvel étranger.

Or, un soir, vers le coucher du soleil, comme il était assis, selon son habitude, au bout du pont de Baghdad, à attendre l’arrivée de quelque étranger, il vit s’avancer de son côté un riche marchand vêtu à la manière des marchands de Mossoul, et suivi d’un esclave de haute taille et d’aspect imposant. Or c’était le khalifat Haroun Al-Rachid lui-même, déguisé, comme il avait l’habitude de faire tous les