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histoire du marchand avec l’éfrit
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bienfait ! » Je lui dis : « Oui, certes ! je sais secourir et obliger ; mais ne te crois pas obligée de m’en être reconnaissante. » Elle me répondit : « Ô mon maître, alors marie-toi avec moi, et emmène-moi dans ton pays, et je te vouerai mon âme ! Oblige-moi donc, car je suis de celles qui savent le prix d’une obligation et d’un bienfait. Et n’aie point honte de ma pauvre condition ! » Lorsque j’entendis ces paroles, je fus pris pour elle d’une cordiale pitié : car il n’y a rien qui ne se fasse avec la volonté d’Allah, qui est puissant et grand ! Je l’emmenai donc, je la vêtis de riches habits ; puis j’étendis pour elle, dans le navire, de magnifiques tapis, et je lui fis un accueil hospitalier et large, plein d’urbanité. Puis nous partîmes.

Et mon cœur l’aima d’un grand amour. Et depuis je ne la délaissai ni jour ni nuit. Et moi seul, parmi mes frères, je pouvais œuvrer avec elle. Aussi mes frères furent pleins de jalousie ; et ils m’envièrent aussi pour ma richesse et la belle qualité de mes marchandises ; et ils jetèrent avidement leurs regards sur tout ce que je possédais, et ils concertèrent ma mort et le rapt de mon argent : car le Cheitane[1] leur fit voir leur action sous les plus belles couleurs.

Un jour que je dormais aux côtés de mon épouse, ils vinrent à nous, et nous enlevèrent et nous jetèrent tous deux à la mer ; et mon épouse se réveilla dans l’eau. Alors tout d’un coup elle changea de forme et se mua en éfrita[2]. Elle me prit alors sur ses épaules et me déposa dans une île. Puis elle dis-

  1. Satan, le Malin.
  2. Féminin d’éfrit. Diablesse.