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les mille nuits et une nuit

et mis des habits de deuil. Puis elle me dit : « Ô fils de mon oncle, ne me blâme point de ce que je fais, car je viens d’apprendre que ma mère est morte, que mon père a été tué dans la guerre sainte, que l’un de mes frères est mort piqué par un scorpion et que l’autre a été enterré vivant sous la chute d’un édifice. J’ai donc le droit de pleurer et de m’affliger. » À ces paroles je ne voulus faire semblant de rien, et je lui dis : « Fais ce que tu crois nécessaire, car je ne te le défends pas. » Et elle resta enfermée dans son deuil, ses pleurs et ses accès de douleur folle durant une année entière, depuis le commencement jusqu’à l’autre commencement. L’année finie, elle me dit : « Je veux bâtir pour moi dans ton palais un tombeau en forme de dôme, et je m’y isolerai dans la solitude et les larmes, et je le nommerai la Maison des Deuils ! » Je lui répondis : « Fais ce que tu crois le nécessaire ! » Et elle se bâtit cette Maison des Deuils surmontée d’une coupole, et contenant une tombe comme une fosse. Puis elle y transporta et y plaça le nègre, qui n’était pas mort, mais qui était devenu très malade et très faible, et qui vraiment ne pouvait plus être d’aucune utilité à la fille de mon oncle. Mais cela ne l’empêchait de boire tout le temps du vin et de la bouza. Et depuis le jour de sa blessure il ne pouvait plus parler, et il continuait à vivre, car son terme n’était pas échu. Et elle, tous les jours, entrait chez lui dans la coupole, à l’aube et à la nuit, et était prise près de lui d’accès de pleurs et de folie ; et elle lui donnait à boire des boissons et des choses bouillies. Et elle ne cessa d’agir de la sorte, matin et soir, durant toute la seconde