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§ 2. — La préparation des âmes en Babylonie.


Les captifs emmenés à Babylone sous Ioakim et sous Joachin ne valaient pas mieux que ceux qui s’enfuirent en Égypte après la chute définitive de Jérusalem sous Sédécias. On doit seulement conjecturer que c’étaient des forces plus actives, des nationalistes plus déterminés, une élite estimée par les Chaldéens plus redoutable que ceux qu’on ne jugea pas à propos de déporter. Leur attitude religieuse était la même, sinon pire, car Ezéchiel, leur compagnon de captivité, n’ignorait pas qu’il y avait des idolâtres parmi ceux qui venaient le consulter, avec une soumission feinte, comme s’ils étaient fidèles à Iahvé[1].

La première leçon reçue par Jérusalem et dont ils avaient été les victimes ne leur avait rien appris : l’idolâtrie glorieusement florissante à Babylone ne pouvait qu’ajouter ses séductions au scandale de la défaite de Iahvé. Comme leurs pères, ils hésitaient entre leur Dieu et des dieux étrangers, entre le concept d’un Dieu supérieur à toute la nature, et des dieux qui y étaient mêlés par l’image, entre un ordre social religieux qui tenait étroitement unis tous les fils d’Israël dans la pratique de la circoncision et du sabbat, et le laisser aller qui les assimilait aux autres.

La prédication d’Ézéchiel à Babylone était au fond la même que celle de Jérémie à Jérusalem. Ne rendre un culte qu’à Iahvé seul, et sans le diminuer par une image, se serrer autour de sa loi. Là était le vrai principe de la cohésion nationale que la domination des Chaldéens ne mettait pas en péril. Moins d’aspirations, en fait irréalisables, vers une indépendance absolue ; plus d’attachement à ce qui était en réalité la sauvegarde de l’existence distincte d’Israël parmi les peuples.

Les deux prophètes faisaient les mêmes menaces, évoquaient les mêmes promesses d’un glorieux avenir. Mais leur situation différente faisait de Jérémie le prophète du malheur imminent, d’Ézéchiel le prophète de la restauration future.

Assurément la situation de Jérémie est plus dramatique et plus douloureuse. Dans l’angoisse du siège, une fièvre de lutte acharnée s’est emparée de tout un peuple ; tous les cœurs battent à l’unisson, les esprits sont emportés par la même noble folie. Rôle ingrat que celui de l’homme qui a mission du Seigneur de prêcher une sagesse qui paraît inspirée par la crainte ! Aussi Jérémie est-il demeuré le type de l’homme des douleurs, dont les paroles sont inutiles, qui ne sert son peuple que par sa passion et sa mort, du patriote qui ne sera compris qu’après que son sacrifice aura été consommé, vainement en apparence.

  1. Ez., xiv, 3.