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circonstances. Mais, chez cet esprit réfléchi, l’application selon l’opportunité découlait d’un plan arrêté d’avance. On ne saurait admettre qu’il ait inauguré en Gaule une entreprise particulièrement difficile s’il n’avait eu le dessein de savoir à quoi s’en tenir sur les ressources de tout l’empire, dessein que l’inscription d’Ancyre met si bien en lumière, et qui est d’ailleurs attesté par deux textes qui se corroborent et au besoin s’expliquent mutuellement. En l’an 11/10 av. J.-C., « Auguste fit le recensement, recensant tout ce dont il avait la disposition, comme eut fait un particulier quelconque, et il fit le triage du Sénat[1] ».

Auguste agit comme un particulier, c’est-à-dire qu’il traite l’empire comme un particulier administrerait sa fortune, et c’est bien comme prince investi du droit de censure qu’il fait le triage du sénat. Or Tacite a parlé, au début du règne de Tibère, d’un mémoire d’Auguste lu au sénat : « qui contenait l’inventaire des ressources de l’empire, le nombre des citoyens et des alliés en armes, celui des flottes, des royaumes, des provinces, l’état des tributs ou des redevances, des dépenses obligatoires et des libéralités. Tous ces détails, Auguste les avait écrits de sa main[2] ».

Pour arriver à ce magnifique résultat, Auguste a dû donner bien des ordres, mais enfin il y eut un jour où ce projet germa dans sa pensée et où il manifesta son intention de l’accomplir. S. Luc avait donc le droit de parler d’un décret, encore que peut-être il n’y eut pas sur ce sujet un édit ou un sénatus-consulte embrassant tout le monde romain à la fois ; du moins on n’en a aucun indice sauf ce texte même de Luc qui ne vise assurément pas à la précision juridique. Le décret, ou selon le sens primitif du mot dogma, le dessein arrêté exista donc sûrement dans la pensée de l’empereur et sortit ses effets. Le cas de Quirinius en fut une application. L’empereur ne pouvait songer à opérer lui-même ce recensement de toutes les provinces. Il en chargeait les gouverneurs. Ceux-ci, à leur tour, envoyaient dans les villes soit des officiers, soit quelques-uns de leurs propres compagnons (comites). Quirinius était naturellement chargé du recensement en Syrie. La Judée, sans être destinée à demeurer directement sous ses ordres, entra dans l’empire par l’entremise de ce haut fonctionnaire, qui se chargea par conséquent du recensement, sauf à déléguer Coponius pour le détail. Ce n’est pas seulement Josèphe qui parle du recensement de Quirinius, c’est aussi saint Luc (ii, 2), quel que soit le sens de sa phrase, et l’épigraphie a fourni une preuve du même fait pour la Syrie.

  1. Dion, Liv., 35 s.
  2. Tac., Ann., I, xi, trad. Goelzer.