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le caractère spirituel. Les expressions sonores de puissance, de domination, de règne, risquaient d’être entendues dans leur sens temporel et profane. Le dernier empire, celui dont le Fils de l’homme était à la fois le symbole et le chef, serait-il donc semblable à celui des potentats du passé, Nabuchodonosor, Darius, Alexandre ? Daniel avait pris soin de dire que la pierre qui les devait renverser serait détachée de la montagne « non par une main »[1], entendez humaine, mais plutôt par une action surnaturelle, une intervention divine. Peut-être pourtant cette action ne se produirait-elle pas sans le fracas des armes et des assauts, sans les buccins de la victoire. Et à supposer que Dieu emploie le miracle pour triompher seul, les bénéficiaires de son triomphe, qui seraient-ils, et leur règne ne serait-il pas le règne d’une nation choisie, mise à la place des autres, pour gouverner plus justement, et en respectant son souverain domaine, mais enfin en exploitant à la façon humaine une situation privilégiée ?

Ce n’est point là une hypothèse de commentateur. C’est précisément ainsi, nous le verrons par la suite, que beaucoup de Juifs ont compris le règne de Dieu qu’ils attendaient de son intervention en leur faveur.

Ils n’avaient point assez remarqué que le règne de Dieu serait le règne des saints, non point celui d’une nation particulière. Daniel, il est vrai, avait pensé aux Saints de la Judée, et les Juifs fidèles à la Loi pouvaient se dire qu’ils étaient ces Saints. Mais c’était à la condition de dépouiller toute ambition purement temporelle, et de bien comprendre en quoi consistait le règne promis aux Saints. Leur disposition devrait être une humilité profonde, née du sentiment de la faute où la nation élue elle-même était engagée. C’est à quoi les invitait cet oracle incomparable, passé presque inaperçu dans le tapage des discussions sur le calcul des semaines de Daniel, indiquant à quoi se réduisait enfin, ou plutôt dans quelle sphère surnaturelle il fallait transposer cet éclat des images glorieuses de règne et de domination : Daniel annonçait un acte de la miséricorde de Dieu, amenant les hommes à la justice. C’est la prédication de Jésus annoncée : Faites pénitence, car le règne de Dieu est proche. C’est une esquisse de la vue d’ensemble de saint Paul sur la justice donnée par Dieu. On dirait sans trop d’exagération que tout le malentendu entre Jésus et les Pharisiens, entre saint Paul et les Juifs, est né de ce que le Judaïsme des docteurs s’était orienté vers une fausse intelligence du règne de Dieu, dont les traits avaient cependant été fixés par Daniel :

Soixante-dix semaines ont été fixées au sujet de ton peuple et de ta ville, pour arrêter la prévarication, et pour sceller les péchés et pour remettre la dette et pour

  1. ii, 45.