Page:Le journal de la jeunesse Volume I, 1873.djvu/96

Cette page n’a pas encore été corrigée

Nous avions un appétit féroce, et nous dévorâmes notre frugal repas avec plus de plaisir que jamais alderman de la cité de Londres n’en a trouvé aux banquets de Guild Hall ; puis, après avoir fumé nos pipes et causé autour du feu, nous nous enveloppâmes dans nos couvertures et nous endormîmes sous les sapins odoriférants.

L’aube nous trouva debout ; Pat, fidèle à la tâche qu’il avait choisie, s’occupa du déjeuner, pendant que les autres couraient après les mules, pliaient la tente et préparaient tout pour le départ.

Notre voyage, ce jour-là, fut moins agréable que le jour précédent. Il se mit à pleuvoir à torrents, et, en peu de temps, le sentier devint glissant et dangereux ; mais il n’y avait qu’à se résigner et à achever tant bien que mal notre étape.

Après bien des peines, nous arrivâmes au sommet d’une énorme falaise appelée le Nicaragua slide. Il nous fallait redescendre jusqu’au bord de la rivière qui coule à plus de mille pieds au-dessous. Les flancs de cette montagne sont presque perpendiculaires, et l’on ne croirait pas, à première vue, que même un chamois pût la gravir ; mais, en y regardant de plus près, on aperçoit un étroit sentier coupé en zigzag et descendant jusqu’au fond de la vallée. De la hauteur vertigineuse où nous étions, c’est à peine si nous osions regarder en bas, mais il n’y avait pas à reculer ; la mule porte-clochette (qui malheureusement était à moi) fut donc chassée devant nous, et, bêtes et gens, tout le monde suivit.

À mi-côte arrivèrent jusqu’à nous les tintements d’une autre clochette et les cris d’hommes qui conduisaient un train de mulets revenant des mines. À chaque tournant du zigzag, un petit refuge était ménagé dans le roc pour donner libre passage à ceux qui se rencontraient. Nous nous rangeâmes avec tous les animaux dans un de ces refuges pour laisser passer ceux qui montaient ; mais la mule porte-clochette étant trop loin en avant, nous ne pûmes la rappeler ; nous supposions d’ailleurs qu’en animal expérimenté elle aurait l’intelligence de se garer.

Malheureusement, notre confiance était mal placée : car la sotte bête poursuivit sa route jusqu’à la rencontre de l’animal qui montait et qui, mieux avisé, prit obstinément le côté du rocher. Il était impossible aux deux mulets, vu la largeur de leurs fardeaux, de se croiser en cet endroit. Ne pouvant s’arrêter à cause de la rapidité de la descente et de l’impulsion que lui imprimait la lourdeur de sa charge, mon mulet tâcha de passer sur le bord du précipice ; mais, au passage, les paquets s’accrochèrent, l’animal perdit pied, et, après avoir rebondi une ou deux fois contre les rochers, alla tomber comme une masse dans les eaux écumantes du torrent.

Au moment de sa chute, la pauvre bête avait été débarrassée d’une partie de sa charge. Nous pûmes retrouver quelques paquets non sans peine et sans péril, et les diviser entre les autres mulets. C’était malgré tout pour moi une perte sérieuse, car la valeur de cet animal représentait près de la moitié de mon capital. Ce fut ainsi que, dès le début, je reçus ma première leçon dans l’art de mettre en pratique la patiente résolution si nécessaire à un aventurier.

Nous continuâmes à remonter le Fraser, longeant le flanc des montagnes qui, sur une longueur d’environ soixante milles au-dessus de Yale, se rapprochent à ce point qu’il semble qu’elles se soient brusquement fendues pour livrer passage au fleuve puissant et torrentueux qui coule à leur pied.

Parfois il nous arrivait de rencontrer une longue file d’Indiens qui, négligeant leurs occupations habituelles pour gagner les dollars de l’homme blanc, faisaient l’office de bêtes de somme. Comme cela se pratique ordinairement parmi les sauvages, les malheureuses squaws (femmes des Indiens) avaient plus que leur part de la peine. Chacune d’elles portaient deux sacs de farine de cinquante livres chaque, quelquefois trois, et souvent un bébé perché sur le haut de cette énorme charge, pendant que son seigneur et maître marchait en avant, portant d’un air calme un seul sac sur ses épaules aristocratiques.

Mais laissons pour le moment les Indiens, et revenons à notre voyage.

À suivre.

R. B. Johnson.

Traduit

_________________________

LES CAUSERIES DU JEUDI

____

INCENDIES ET POMPIERS

_______

Un-de mes jeunes convives avait lu ou entendu dire qu’il était question de réorganiser le corps des sapeurs-pompiers de Paris, et rapprochant cette assertion des navrants détails que, le Journal de la Jeunesse lui avait donnés sur le récent incendie de Boston, il en était arrivé à cette double et assez fantaisiste conclusion, que probablement les pompiers de Boston étaient assez mal organisés, puisqu’ils n’avaient pas su conjurer un pareil désastre. Si donc on parlait de réformer le corps parisien, c’est qu’on prévoyait qu’avec son organisation actuelle il devrait, le cas échéant, montrer la même impuissance.

Tout d’abord, répliquai-je, je crois savoir que le projet qui concerne nos sapeurs-pompiers n’a trait qu’à des modifications administratives, où la question des services rendus ou ft rendre n’a rien à voir. Vous pouvez donc être tranquilles sur l’efficacité des secours que ces braves gens tiennent en réserve, pour le cas où ils auraient à combattre le fléau qui vient de sévir en Amérique d’une façon si