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subitement, qu’il avait la taille mince et élancée, et le visage un peu pâle, vous vous ferez une idée exacte du nouvel élève que Mme Defert présenta au principal du collège, afin qu’il fût inscrit pour la rentrée prochaine.

Monsieur le principal ne pouvait voir d’un bon œil ce produit de l’industrie sombrettique. Il ne pouvait non plus voir de mauvais œil l’héritier d’une des familles les plus riches et les plus considérées de Châtillon. Il prit donc un moyen terme, et le considéra d’un œil digne et froid par-dessus ses lunettes.

Lorsque Mme  Defert lui eut dit que, selon l’opinion de M. Sombrette, ce grand garçon était capable d’entrer en troisième, M. le principal sourit d’un air incrédule. Lorsqu’il eut interrogé le récipiendaire, et qu’il l’eut poussé sur différents points, il fut forcé de convenir que M. Sombrette avait raison. « Ce résultat, dit-il, après une minute de réflexion, n’a rien qui doive nous surprendre. M. Sombrette était un de mes meilleurs professeurs. »


A Suivre.

J. Girardin

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DANS L'EXTRÊME FAR WEST¹

AVENTURES D'UN ÉMIGRANT DANS LA COLOMBIE ANGLAISE


CHAPITRE VI

La route


Le premier de nos soucis, avant de nous mettre en route, fut de distribuer entre nos mules les fardeaux qu’elles devaient porter. Cela exige plus d’habileté qu’on ne le croirait; l’absence d’équilibre produit sur le dos des animaux des écorchures qui souvent forcent les voyageurs à s’arrêter à moitié chemin. Fort Yale était alors encombré de caravanes de bêtes de somme à destination du district minier; nous eûmes donc une excellente occasion de nous initier aux mystères du chargement des mulets.

À cette époque, il n’y avait, en fait de route, qu’un sentier escarpé qui tantôt montait du marais à la montagne, tantôt descendait de la montagne au marais, jusqu’à ce qu’on arrivât enfin à William’s Creek, centre du district minier du Caribou, où se trouvait agglomérée une population d’environ huit à dix mille hommes. On peut aisément se figurer quelle procession continuelle de bêtes de somme il fallait pour subvenir aux besoins de cette population.

Yale était un petit centre très-vivant et avait bien plus l’apparence d’une ville commerçante que New Westminster, la capitale de notre colonie.

Les chargeurs de profession sont presque tous Mexicains et ont tout l’air d’une race de véritables bandits. Quand ils sont absolument sans argent, ils travaillent comme des esclaves pendant un mois, et puis dépensent en quelques jours tout ce qu’ils ont gagné.

J’eus le bonheur de faire la connaissance d’un de ces gentlemen qui venait de perdre son dernier dollar à une table de jeu. Avec son vaste sombrero¹, ses guêtres brodées d’argent, son poncho², c’était bien l’un des plus beaux spécimens de sa race qu’on pût trouver. Il condescendit, avec tous les airs d’un grand seigneur qui a éprouvé des revers de fortune, à nous aider de ses services pendant le premier jour de notre voyage, moyennant la bagatelle de 5 dollars (27 fr. 10 c.).

La première chose qu’il fit, en voyant les bâts que nous avions apportés de Victoria, fut de déclarer, en haussant les épaules, qu’ils ne pouvaient servir à rien, et que, si nous n’avions pas des aparejos convenables, nous n’arriverions jamais aux mines. Sur ce, il sortit et revint, peu de temps après, avec d’énormes bâts de cuir, en forme de bissac et rembourrés de foin. Ce ne fut pas pour nous une mince dépense; mais il fallut en passer par là.

Nos bagages et nos provisions ayant été, avec beaucoup d’adresse, divisés en huit paquets de 150 livres, et chargés sur nos quatre mulets, nous nous mîmes en marche le long du sentier tortueux qui se dirige vers l’intérieur à travers les cañons³ ou gorges du Fraser. Ce sentier, jusqu’à environ soixante milles (96 kilom.) de Yale, court à travers des montagnes qui ont reçu le nom de Cascade Mountains (Chaîne aux Cascades). Durant notre premier jour de marche, le Mexicain devait nous accompagner pour nous apprendre à conduire nos bêtes réfractaires, à assu-

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1. Chapeau espagnol à large bords.

2. Manteau américain fait d'une couverture de couleur au milieu de laquelle on a ménagé une ouverture pour la tète.

3. Cañon, en espagnol, signifie tuyau et s'emploie aujourd'hui, dans l'Amérique du Nord, pour désigner les gorges, cols ou défiles des montagnes.