Page:Le journal de la jeunesse Volume I, 1873.djvu/57

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Jean suivait ses allées et venues avec la plus grande attention. Enfin, n’y tenant plus, il se haussa vers l’oreille de sa mère pour lui dire quelque chose. Mme Defert sourit, et, se levant de sa chaise, prit le petit chat et le mit entre les bras de bébé.

Jean se contenta d’abord de tenir la petite bête, sans oser faire autre chose que la regarder ; mais bientôt il fut pris d’un accès de tendresse subit et l’embrassa sur le front. Pour toute réponse, le minet cligna ses yeux clairs et fit doucement ronron. Marthe et Marguerite avaient quitté des yeux leur tâche. M. Dionis lui-même regardait cette petite scène en souriant.

Tout à coup, le petit chat, qui ne se sentait pas assez bien tenu et qui craignait de tomber, se raccrocha comme il put.

« Oh ! s’écria Jean en le laissant aller, il a des épingles à ses mains ! »

Le mot n’était que drôle, et Mme Defert se contenta d’en sourire. Mais Marguerite et Marthe poussèrent des cris d’admiration. Quant à M. Dionis, il déclara qu’il avait entendu dans sa vie de bien bonnes plaisanteries, Dieu merci ! mais que celle-là était la meilleure de toutes. Mme Defert, qui n’aimait pas à gâter le plaisir des autres, ne fit aucune observation ; mais elle remarqua que le petit Jean, d’abord assez confus d’avoir prêté à rire, finissait par comprendre qu’il avait dit quelque chose de drôle, et riait à la fin plus fort que les autres.

Par M. Dionis, le mot se répandit dans les bureaux, à la grande joie de Thorillon, qui l’écrivit sur son garde-main afin de ne pas l’oublier. M. Defert le savait déjà en rentrant pour déjeuner, et l’on ne parla guère d’autre chose à table, jusqu’au moment où Mme Defert détourna la conversation. Jean savait fort bien que les petits enfants ne parlent pas à table ; aussi ne disait-il pas un mot ; mais il avait l’air préoccupé, sur sa grande chaise ; tout à coup, il sembla prendre son parti, et dit en étendant le doigt : « La carafe !… » Tout le monde le regarda. « Elle a des épingles à ses mains ! » Et il partit d’un éclat de rire. Personne ne rit : rien de plus froid qu’une plaisanterie manquée, et rien de plus déplaisant qu’un enfant prétentieux. Par contenance, il fit entendre encore un rire forcé ; mais bientôt ses lèvres tremblèrent ; il sentait qu’il venait de dire une sottise ; il se mit à pleurer d’un air boudeur.

« On gâte cet enfant, pensa Mme Defert, et on le rendra prétentieux et insupportable. »

L’oncle Jean survint. Lui aussi connaissait le mot de son filleul : il était tout simplement pénétré d’admiration. À peine assis, il se pencha vers Jean, sans remarquer son air maussade, et lui demanda des nouvelles des mains du chat, et de ses épingles. En filleul mal appris, Jean tourna le dos à son parrain, avec un mouvement d’épaules facile à interpréter. L’oncle