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dans un cabas dé paille une demi-douzaine de fioles et de petits paquets. Elle ouvrit la porte et marcha lestement jusque chez l'aubergiste. En un clin d'œil, elle se rendit compte de l'état de chaque blessé, offrit a chacun précisément ce qu'il lui fallait, rassura les inquiets, caressâmes enfants; et tout allait pour le mieux, lorsque le conducteur apporta une terrible nouvelle. Le charron demandait vingt quatre heures pour réparer la voiture! Des cris de désespoir et de rage répondirent au paroles du conducteur. Mlle  Jenny, sans s'émouvoir, questionna le pauvre homme; puis, se tournant vers nous

« Nous allons tacher que-vous ne soyez pas trop malheureux 'en attendant. Ces messieurs ,seront obliges de se'contenter de la chambrera, quatre lits qui est .la-haut, et je prierai les dames de vouloir bien accepter mon hospitalité j'ai de la place pour toutes. »

Nous fmïu;s bientot installées chez Mlle Jenny, dans des chambres claires et gaies, aux grandes fenêtres ouvrant sur les plus riants paysages.

Pendant le dîner, j'examinais notre hôtesse avec curiosité. Ses manières avaient cette distinction que donne toujours une parfaite simplicité; elle était évidemment instruite. Elle n'était peut-être pas beaucoup sortie de son village, mais rien de ce qui avait passé ~ous'~sos yeuxj l'avait du échapper a son observation. Elle m'intéressait beaucoup, M"" Jenny, et je cherchais, toutes sortes de raisons plus ou moins plausibles de sa retraite a la campagne.

Le<Icndcn~in')natin, comme je me levais, j'entendis'.dans~a c~ur un\grand bruit de ,sabo.ts. Je mis la .teto~'t ~a,enctrc,\ et je ~is des enfants, des femmes, quelques hqihmcs qui paraissaient malades, dos (Vieillards, des'finnrmcs; tout cela'arrivait à Ja~ulc~ct entrai'! dans'Ia maison. Je sortis de ma chambrej et me/i.rou~ai J'acp.a face avec M""Jenny.

« Déjà.'debout! mc'dit-elle. Qu'on dise qu'il n'y a. que les'campagnards pour se lever matin! La'nuit aurait-elle'éte~mauvâise?

– Tres-bonne, au conf.rait'c. Mais que .se passe-t-il donc? est-ce encore un accident? '.c – AI) c'est ma faute, cela! J'aurais d faire ;dire a mes visites de venir deux heures plus ~a~d~ pour no pas vous réveiller; ma~s cela n,'au~ai!~pas et6 bior commode pour ces pauvres, gens :)ls ont besoin leur temps.

Ah! ce sont vos visites !

Oui. Voulez-vous m'aider les recevoir? cela vous occupera .un instant la dili~nce n'est pas encore prête. »

Je la suivis dans la grande salle où j'étais entrée la veille. Les visiteurs étaient assis sur les bancs. M"" Jenny fit le tour de la sallo, parlant n. chacun, coilBeitlant les Uns, blamant les autres, encourttgcttnt tout le monde.

Quand elle eut congédié une partie de ses hôtes,

elle prit dans l'armoire une quantité de fioles, de pots et de petits paquets, qu'elle rangea sur la table puis elle alla de l'un a l'autre des gens qui restaient, 4 pansant une blessure, une brûlure, mettant une compresse, et expliquant clairement à chacun ce qu'il devrait faire pour achever de guérir. Quand ce fui fini, elle leur dit « A demain, » et sortit de la salle, non sans avoir distribué quelques bonbons aux ~enfants et quelques pincées de tabac aux vieillards.

« Comme vous êtes bon médecin lui dis-je, émerveillée.

– Je ne suis pas médecin du tout infirmière, tout au plus. Je fais venir le médecin du bourg une fois par romaine, et le reste du temps je fais suivre ses ordonnances': voilà tout. Voulez-vous m'accompagner ? j'ai encore quelques malades il visiter, et comme ceux-ci ne peuvent pas marcher, il faut que j'aille chez eux.

– Volontiers laissez-moi seulement rp-.monter pour prendre ma bourse...

kut pas 1net, lon, non, c'est inutile; 'il ne faut pas donner d'argent. C'est bon dans vos grandes villes, ou la misère est telle qu'on est bien obligé d'aller au plu'< pressé et d'empêcher d'abord les gens de mourir de faim, sauf à les moraliser âpres. Ce'que je donne, par exemple, ce sont les choses qu'on ne pourrait pas se procurcr~par soi-même les médicament, Mes soins, de bons conseils, un peu d'instruction. – Vous êtes maîtresse d'école, aussi!

– Oui, a mes heures, ou plutôt aux heures de mes élevés. Je prends les uns le matin, les autres le soir, selon que leurs travaux leur laissent du loisir.

— Et que leur enseignez-vous?

— A lire; à écrire, quand' cela se peut; je leur donne beaucoup de notions sur la manière de se conduire dans les villes ou ils pourront aller, les garçons comme apprentis, les filles comme servantes. Je le'ur apprends aussi a soigner leurs hete<, et a se soigner'eux-mêmes, comme vous l'avez vu.

Noh'c conversation était interrompue de temps t'n temps par une visite il quelque malade. Nous réprîmes le chemin de sa maison. Je me taisais; je calculais tout le bien.qu'elle avait dû faire, à l'âge qu'elle avait, et je trouvais presque toutes le~ autres vies de ma connaissance bien vides en comparaison de la sienne.

« Vous ne dites rien? vous des attristée? me dit elle tout à coup. Je vous demande bien pardon de la matinée que je vous ai fait passer, en vérité! Je ne suis pas attristée; au contraire, jamais la souffrance ne s'était présentée à moi sous un aspect aussi peu triste. Mais je pensais a vous, ù votre vie si bien remplie.

Oh! pour remplie, c'est bien vrai je n'ai pas ut! instant d'ennui ni d'oisiveté.

Vous avez donc toujours vécu ainsi?

Toujours! c'est long, toujours... ma foi, oui,