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Société de Géographie de Londres lui décerna sa médaille d'or, et la reine Victoria lui présenta une magnifique tabatière enrichie de diamants.

Quant à M. Bennett, le généreux instigateur de cette mémorable exploration, il poussa la générosité jusqu'au bout. Non content d'être venu au secours de l'illustre voyageur et de lui avoir peut-être sauvé la vie, il s'empressa, en recevant à New-York les papiers de Stanley, de transmettre par télégraphe à la famille de Livingstone les lettres qui lui étaient adressées. La transmission de ces deux lettres, de New-York à Londres par le câble transatlantique, ne lui coûta pas moins de 2000 livres sterling, c'est à-dire 50 000 francs

Louis Rousselet.
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Les dernières nouvelles de Zanzibar nous apprennent qu'à la date du mois de septembre dernier, la caravane de renfort que Stanley expédiait à Livingstone avait rejoint ce dernier à Kouïhara. A l'heure qu'il est, l'infatigable voyageur s'est remis en route et se dirigea ers la région située à l'ouest du lac Tanganika.

L. R.


LE PANORAMA
DES CHAMPS-ELYSÉES

NOTES ET RÉFLEXIONS DE L'ÉLÈVE CLAPAROT

Depuis plusieurs semaines déjà nous attendions un beau jour de sortie pour aller faire une visite au Panorama des Champs-Elysées. La pluie qui tombait avec une obstination contrariante avait toujours empêché cette promenade, et d'ailleurs le sentencieux et logicien Dugard, qui devait être de l'expédition, avait tranché la question par un beau raisonnement. « Qu'est-ce qu'un panorama? – Un tableau. Que faut-il pour bien voir un tableau ? De la lumière. Avons-nous de la lumière avec ce ciel d'encre et cette pluie intense?- Non. Donc, la sagesse et notre intérêt nous commandent d'attendre que la pluie ne tombe plus et que le ciel soit bleu. »

Mais ce jour-là, le soleil s'était levé dans une jolie petite brume de bon augure, qui s'était bien vite dissipée comme doit le faire toute brume printanière.

Les quais, la place de la Concorde, les Champs Elysées avaient un air de fête charmant. Dugard daignait sourire; Chamerolles, qui tient à ses idées et surtout à ses mots, déclarait que c'était un vrai ciel d'Italie. Quant à Jonquet, il ne m'avait pas encore appelé archéologue plus de trois fois, ce qui était bien honnête de sa part. Mon vieil oncle Lardy, qui a beaucoup voyage, beaucoup vu, beaucoup lu et beaucoup retenu, et qui est le plus complaisant des hommes, nous accompagnait pour nous renseigner sm;ce que nous voudrions savoir.

Chemin faisant, il nous apprenait beaucoup de choses relatives aux panoramas en général. Ainsi Jonquet croyait que l'invention du panorama remontait fort loin, et par une conclusion'hardie il admettait volontiers que le nom grec de cette espèce de peinture prouvait jusqu'à l'évidence sa haute antiquité. Il fut très-surpris d'apprendre que les, premiers essais en ce genre datent tout au plus de quatre-vingts ans, et que ce n'est pas un Grec, mais un Anglais ou plutôt un Écossais, le portraitiste, Barker, qui l'inventa. Chamerolles, le touriste, ayant demandé d'un ton piqué pourquoi la France avait laissé le mérite de cette invention à l'Àngleterre, et ayant ajouté que certainement les Anglais sont bons pour regarder des « œuvres d'art » mais pas pour en produire, mon oncle augmenta sa douleur en lui avouant que ce n'était même pas non plus un. Français qui avait introduit le panorama en France, mais un Américain, à la fois peintre et ingénieur, le célèbre Robert Fulton. Dugard fit remarquer en style soutenu que chaque trace avait ses aptitudes, que la supériorité dans un genre excluait peut-être la supériorité dans un autre, qu'on n'était universel qu'à condition d'être médiocre, que' du reste la France pour sa part... Ici Chamerolles lui coupa la'parole, disant que ce n'étaient la ni des raisons, ni des consolations, et il allait probablement laisser échapper quelque impertinence à l'adresse de l'Amérique, lorsque mon oncle l'engagea à se calmer, et lui assura que la part de la France n'était pas à dédaigner, même en fait de panoramas, attendu que les perfectionnements de couleur et de distribution de lumière, l'entente de la perspective, l'agencement de tous les moyens destinés à produire une illusion complète, et surtout le goût de l'emploi de ces moyens, pouvaient être revendiqués par des Français. Avec des peintres comme Prévost, le colonel Langlois et Philippoteaux, le panorama n'était plus un travail mécanique, mais une grande œuvre d'art.

Tout en causant, nous sommes arrivés. Nous nous engageons d'abord dans un long corridor sombre, et Jonquet, qui n'a jamais vu de panorama, me pousse le coude en me disant

« Cela doit te faire plaisir. Je parie que tu rêves à quelques mystères nocturnes d'Eleusis ou autre sanctuaire fantasmagorique. Moi, je trouve que l'architecte aurait bien pu ménager une entrée plus aimable aux visiteurs. »

J'entends alors mon oncle Lardy qui tousse deux ou trois petits coups, comme quand il a envie de rire, et je réponds de confiance à Jonquet que l'architecte avait probablement de bonnes raisons pour faire ce qu'il a fait.

Cependant nous sommes au bout du corridor noir;