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J’avais fait, par mon influence, établir une machine sur notre placer ; mais comme nos voisins n’en avaient pas, le travail d’une seule fut insuffisant, et la saison se passa encore sans amener de résultat. Mon désappointement fut grand lorsque Pat, qui m’avait représenté aux mines, m’apporta ces tristes nouvelles.

Mon rédacteur en chef, furieux de l’insuccès de notre entreprise, exaspéré par les articles mordants de ses rivaux, m’annonça qu’il se passerait de mes services, de sorte que je me trouvais de nouveau à la recherche d’une position sociale.

J’entrai d’abord comme garçon chez un épicier ; puis je passai comme comptable sur un bateau à vapeur du Fraser ; et enfin, un beau jour, je me trouvai, à ma grande joie, promu au grade de capitaine d’un de ces navires.

C’était de tous les genres de vie celui qui avait pour moi le plus de charmes. Après avoir été déjà si souvent le jouet des circonstances, quel plaisir pour un homme de mon âge que l’exercice du commandement ! Puis le sentiment émouvant des dangers de cette navigation périlleuse convenait à mon tempérament. J’avais vu que la vigueur, le courage et le sang-froid étaient les principales qualités requises, et je me flattais de les posséder.

En peu de temps, j’acquis une grande réputation sur le Fraser, tant pour mon habilité que pour mon intrépidité. Une aventure me mit surtout en renom. Un jour, a la montée du fleuve, notre bateau fut arrête par un rapide des plus violents. Tous nos efforts furent vains ; j’eus beau faire chauffer la machine jusqu’a la plus haute pression, le navire continuait a rester immobile. Tout à coup j’avise la soupape de sûreté, qui était ouverte et contrebalançait l’excès de pression. Il me vint à l’idée que si je réussissais à la fermer, nous avancerions. Un de nos passagers Indiens se tenait près de moi. Je lui fais signe de monter sur la soupape en lui disant qu’en sa qualité de grand chef, le bateau lui obéirait. À peine était-il assis sur la soupape, prenant des airs de magicien, qu’à ma grande joie, je sentis le navire s’ébranler et remonter le courant. Je m’empressai de faire descendre l’Indien ; bien heureusement, car une minute de plus et nous sautions tous en l’air.

Au bout de quelque temps, la compagnie ayant fait faillite, je me trouvai de nouveau sans emploi et je dus retourner à Victoria.

Un matin que je me promenais sur le port, je vis venir à moi un de mes amis, nommé Walton, marin déserteur, qui avait quitté la mer pour les mines et brûlait maintenant du désir de quitter les mines pour la mer.

« Vous regardiez ce schooner ? me dit-il en me montrant un charmant petit navire. Il est à vendre, et plût au ciel que j’eusse de quoi l’acheter ! j’aurais bientôt fait fortune en trafiquant avec les Peaux-rouges. C’est un navire d’une trentaine de tonnes ; je le chargerais de whiskey, et avec cela j’achèterais toutes les fourrures qui se peuvent trouver d’ici à Sitka.

— Oui, lui répondis-je, et vous vous feriez confisquer, à votre retour, et le bâtiment, et tout ce que vous auriez obtenu à vil prix des Indiens. Mais combien veut-on de cette goëlette ?

— Environ deux mille dollars, mais je n’en ai qu’un, et malheureusement il n’est guère possible de trouver en ce moment à emprunter l’autre mille.

— Peut-être, lui dis-je. Voyons, vous êtes un marin de profession, et vous savez que je ne suis pas tout à fait novice à ce métier-là. Si j’avais les autres mille dollars et si je vous proposais de nous associer pour acheter le navire et faire ensemble un voyage de commerce, que diriez-vous de cela ?

— Par Jupiter ! s’écria-t-il, c’est justement la