Page:Le journal de la jeunesse Volume I, 1873.djvu/242

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Après le départ de ce misérable, je regardai encore une fois autour de moi. Tout à coup je vis le moyen de sortir de ma prison et je faillis devenir fou de joie plus encore à l’idée de pouvoir me venger de ce misérable qu’à celle d’échapper à la mort. Il y avait la pompe ! Je n’avais qu’à fixer solidement au fond du puits, avec ma pioche enfoncée dans une des parois, la courroie qui portait les augets, et à grimper en me servant des augets comme d’échelons.

« J’attendis que mon ennemi se fût éloigné, car au moindre bruit il aurait pu revenir, couper la courroie et m’envoyer au diable en une minute.

» Quand je jugeai qu’il était assez loin, je mis mon projet à exécution, et je sortis facilement du puits ; une fois là, je me jetai à terre, brisé de fatigue et d’émotion. Je courus à la cabine pour m’assurer s’il n’avait pas trouvé mon revolver qui était caché ; l’ayant pris, je mangeai un morceau et partis à la poursuite de mon homme. Je suivis ses traces pendant quelque temps le long de la vallée ; puis je reconnus qu’il s’était dirigé vers les fourches de la Quesnelle. Je me demandai alors s’il ne vaudrait pas mieux, plutôt que de le suivre seul et de le tuer sans témoins, d’aller chercher quelques-uns de nos camarades pour apprendre à ce monsieur à respecter la loi de Lynch. Je me rendis donc à William’s Creek et pris avec moi une demi-douzaine d’hommes.

» Nous n’eûmes pas de peine à retrouver ses traces, et, après avoir fait une dizaine de milles, nous l’aperçûmes marchant tranquillement, chargé de mes dépouilles. Il venait de se remettre en route, après s’être reposé un peu sans doute pour faire cuire son repas, car nous trouvâmes encore du feu à l’endroit où il s’était arrêté. Quand il nous entendit, il se retourna et, nous apercevant, il jeta son fardeau et prit la fuite ; mais nous l’eûmes bientôt rejoint. Alors il fit volte-face, m’ajusta et tira. La balle m’effleura le bras et me fit même un peu saigner, mais sans me causer d’autre mal. Nous fûmes bientôt maîtres de lui. Revenu avec tous les autres à la cabine de Jack of Clubs Creek, je racontai en détail toute l’histoire ; je montrai à mes compagnons l’intérieur du puits et la courroie de la pompe encore attachée comme je viens de le dire ; il n’y avait pas à nier le fait.

»Séance tenante, le scélérat fut amené dans la forêt, où nous le pendîmes à un arbre, après lui avoir lu un chapitre de la Bible. »

Nous ne pûmes que féliciter le vieux Jake de la façon dont il avait échappé à un si grand danger.

Vers la fin du mois, nos associés arrivèrent ; nos voisins se mirent au travail et nous parvînmes à dessécher notre puits. Le vieux Jake avait montré ses spécimens aux marchands, et l’on nous avait offert à chacun 2000 livres (50000 francs) de notre part dans l’entreprise. Mais nous avions repoussé ces offres comme bien au-dessous de nos espérances.

Nous avions ouvert au fond de notre puits un tunnel ou galerie ; mais nous nous aperçûmes bientôt que la roche fuyait à mesure que nous creusions, de sorte qu’il ne restait qu’à en creuser un autre plus loin. Les pépites de Jake n’étaient que le contenu d’une petite « poche » qui fut bientôt épuisée. Nous nous remîmes cependant au travail avec ardeur, et bientôt nous eûmes atteint une profondeur de soixante pieds. Mais l’eau filtrait à travers le sable poreux en si grande quantité qu’aucune des pompes que nous avions ne pouvait empêcher ses progrès. Nos voisins étaient exactement dans la même situation que nous, et l’impossibilité d’arriver au but devenait de plus en plus évidente à mesure que nous approchions de l’endroit où nous savions que devait se trouver l’objet de nos convoitises. Il nous fallait donc de nouveau attendre la saison prochaine.

Combien je regrettais de n’avoir pas accepté l’offre des 2000 livres lorsqu’il me fallut, après trois mois du plus dur travail, partir en quête de quelque moyen d’existence qui me permît d’attendre l’été suivant !

À quelle nouvelle industrie allais-je me livrer ? Comme je quittais notre malheureux claim, des muletiers vinrent à passer. Le chef, un ex-matelot anglais auquel je m’adressai, offrit de me prendre à son service ; ce que j’acceptai avec empressement. L’existence des muletiers n’a rien de désagréable en été: toujours par voie et par chemin, avec une besogne facile, au grand air. Aussi ce ne fut pas sans chagrin que je dus, à la fin de la saison, dire adieu à mon excellent patron, qui, après avoir gagné une petite fortune, se retirait des affaires et s’en retournait en Angleterre. Heureux homme ! l’industrie des transports à dos de mulets valait mieux que celle de la recherche de l’or. Il avait commencé l’année précédente avec un modeste capital de 500 livres (12 500 francs), et il se retirait avec 20 000 livres (500 000 francs) ; tandis que moi j’avais encore à passer misérablement l’hiver, avec le faible espoir de faire une nouvelle et plus heureuse tentative à notre malheureux claim de Jack of Clubs Creek.

À suivre

R. B. Johnson




LES CAUSERIES DU JEUDI

____

LA PERTE DU NORTHFLEET

Un sinistre maritime épouvantable vient d’avoir lieu en vue des côtes d’Angleterre.

Le navire le Northfleet, qui portait en Australie plus de trois cents ouvriers terrassiers, quelques-uns accompagnés, de leurs femmes et de leurs, enfants, avec tout un matériel pour l’établissement d’un chemin de fer dans la colonie anglaise de Tasmanie (Terre de Diemen), était parti de Londres le 17- janvier. En arrivant dans la Manche, il trouva la mer très mauvaise et les vents contraires. Après avoir louvoyé pendant cinq à six jours, il jeta l’ancre' en vue de Dungeness, à deux ou trois milles du rivage, pour attendre qu’un temps plus propice lui permit de continuer sa route.