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Ce fut notre salut; car les autres canots interrompirent leur poursuite pour secourir leurs camarades qui, à l’exception de Squawmish Jack, tué roide sans doute, furent tirés de l’eau. Pendant ce temps, nous fîmes force de rames, et, ayant réussi à prendre le vent près d’un des promontoires qui bordent l’entrée de la baie, nous entrâmes dans le golfe.

Ne pouvant plus gagner l’embouchure du Fraser, nous prîmes quelques jours de repos dans le chenal de Plumper’s Pass et résolûmes ensuite de nous rendre tout droit à Victoria pour y passer l’hiver sans retourner à New Westminster. Nous y arrivâmes sans autre mésaventure, et ne fûmes pas fâchés, après notre téméraire expédition, de nous retrouver pour quelque temps au milieu d’une société civilisée.

Traduit de l'anglais par


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THOMAS HIGHS

ou le métier a filer

Il y a environ cent ans, les Anglais ne savaient encore fabriquer avec le coton sent que des mèches de lampes ou de chandelles. En tant que tissage, ils ne l'employaient que marié, au lin, qu'ils liraient tout filé d'Allemagne. Ce lin, suffisamment tordu pour pouvoir supporter la tension qu'exige le montage des fils sur le métier à tisser, constituait la (̃haine, c'est-à-dire l'élément longitudinal de l'étoffe le coton, dont, vu l'imperfection des procédés on usage, on n'obtenait encore que des (ils d'une résistance bien moins grande, formait la trame, c'est-à-dire,' la partie que la navette déroule en allant et venant dans le sens de la largeur.

Ces tissus, nommés futaines (de Fustat, ville d'Egypte, d'où les premiers avaient été apportés), en réalisant un sensible progrès économique, ne pouvaient manquer d'être fort demandés. Aussi voit-on que déjà même au milieu du xviie siècle « il n'y avait presque pas de petite paroisse d'Angleterre qui ne possédât, pour occuper les agriculteurs pondant la mauvaise saison, un certain nombre de métiers à lisser la Maine. » En principe, les paysans portaient à la ville les étoffes fabriquées avec du lin venu en lil de l'étranger, et du coton le plus souvent filé dans leur voisinage ils le» livraient brutes ou écrues aux marchands qui les faisaient teindre, et en trafiquaient ensuite. Mais bientôt s'établirent les maîtres en futaine, véritables chefs manufacturiers, qui, résidant au milieu des tisserands, se chargeaient non-seulement de recueillir sur place les tissus sortant des mains de ceux-ci, mais encore d'approvisionner les ouvriers de lin et de coton fîlés.

Manchester, centre commercial déjà important, l'ut des l'origine le point vers lequel convergeaient, pour s'éparpiller dans tous les districts du royaume, les produits de cette rustique industrie, qui suffisaient amplement aux besoins de la population. Mais voilà que .Manchester s'avisa d'exporter ses futailles, auxquelles de nombreux et importants débouchés s'ouvrirent à la fois. Alors il arriva que la fabrication ne put plus répondre aux demandes, car. si l'Allemagne fournissait encore une quantité suffisanle.de fils de lin, il y avait pénurie de (ils de coton, ville nombre relativement restreint de personnes occupées à les produire en Angleterre. Les -fulaines s'enlevaient sur tous les marchés, et, alors qu'on en eut vendu le double, le triple, les futaiitkrs étaient obligés à de longs chômages, faille de matière à mettre en uiuvre. « De la trame! de la trame! » s'en allaient de- mandant partout les tisserands, dont la navette était vide, et qui devaient se croiser les bras. quand ils auraient pu mettre si luerativemenl à profit les moindres instants. Mais les Pileuses avaient .beau se hâter, se multiplier; mais les mail ces en futaiue avaient lirait taire rechercher partout jusqu'aux dernier» écheveaux de coton filé, bien des tisserands restaient encore condamnés au repos. La trame manquai! de toutes parts.

Or, au plus fort de celle disette d'un nouveau genre, certain jour de l'année 17(il, au bourg de Loi «h, dans le comté de Lancaslre. un pauvre homme, nommé Thomas Ilighs, dont la profession consistait à fabriquer une des pièces principales du métier à. lisser, fut témoin du profond chagrin éprouvé par un de ses voisins, qui, poussé du besoin et du désir de travailler, et, bien que les commandes fussent nombreuses, se trouvait réduit à une désespérante inaction, faute de pouvoir se procurer quelques inall^çm'eUfSes bobines de trame.

De là à déplorer qu'en fait de machines à filer l'on n'eut encore rien imaginé de plus expéditif que le rouet, il devait n'y avoir qu'un pas pour Thomas Highs, aussi bien que pour toute autre nature quelque peu compatissante; mais, de l'expression de ce regret à la conception de l'idée qui mettrait fin à ce déplorable état de choses, la distance était de celles que peuvent seuls franchir les hommes marqués du sceau trop souvent douloureux du génie.

Ce sceau, Dieu venait d'en loucher Thomas Highs, ou, pour mieux dire, l'arène du progrès venait de s'ouvrir devant un nouveau martyr.

Highs, saisi d'une fiévreuse préoccupation, rentre chez lui, s'assied, et, le front plissé, dirige d'étranges regards sur sa fille, qui file près de l'autre.

« Qu'avez-vous donc à me regarder ainsi, père? demande la fileuse, qui peut-être n'avait jamais vu son père absorbé de la sorte.

– Rien, je n'ai rien file, ma Jenny, file. Je pense à quelque chose... Voilà tout. File, ma Jenny, ne t'ar--