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les services d’un Indien Squawmish qui avait exercé quelque temps, à New Westminster, la profession de guide, nous nous embarquâmes dans un grand canot indien.

Nous eûmes fort mauvais temps au départ et notre embarcation fut mise à la plus rude épreuve, lorsque nous eûmes à passer l’entrée de Burrard’s Inlet ; mais elle flottait sur les vagues comme un canard, et nous n’eûmes aucun mal. Nous entrâmes alors dans le magnifique lac ou estuaire d’eau salée, long d’environ 40 milles (64 kilomètres), dans lequel se déverse la rivière Squawmish, le but de notre expédition.

Tout le reste du jour, par une pluie battante, nous fîmes force de rames et remontâmes l’estuaire sur une longueur de 30 milles. Ayant aperçu un petit courant d’eau douce descendant des collines, nous abordâmes à cet endroit et y plantâmes notre tente pour la nuit. Nous n’étions pas en pays ami, et chacun de nous eut à monter la garde à son tour pendant deux heures.

La nuit se passa tranquillement ; nous n’avions point vu d’Indiens, car ils étaient presque tous à la mer, occupés à faire leur provision de poisson pour l’hiver qui approchait. Nos craintes se calmèrent donc sensiblement. Le jour suivant, étant partis de bonne heure, nous atteignîmes avant midi l’embouchure de la rivière. Nous nous dirigeâmes vers ce qui nous parut être la plus considérable de plusieurs bouches, et remontâmes sans peine le courant à travers un delta de terres basses et marécageuses, sur une longueur de 4 ou 5 milles.

La rivière changeait de caractère et devenait rapide et très-accidentée ; nous arrivions au cœur même de la Chaîne des Cascades, où nous devions trouver les traces géologiques des gisements de l’or, si toutefois il en existait. Un grand village indien, momentanément abandonné, était situé non loin de là ; nous prîmes, pour la nuit, possession d’une des huttes, et, ayant rencontré quelques Indiens que l’âge ou la maladie avait empêchés de suivre les autres, nous obtînmes, à l’aide de notre guide, qu’ils nous louassent une paire de petits canots avec lesquels il nous fût possible de remonter le courant ; notre grand canot était beaucoup trop lourd pour les eaux basses et rapides qu’il nous fallait affronter.

Le lendemain, nous fîmes plusieurs haltes pour explorer le lit de la rivière. Nous y trouvâmes de l’or, en si petite quantité que le produit n’aurait pas couvert la dépense. Le quartz ne manquait pas ; mais il était trop dur pour qu’on pût espérer que les trésors qu’il contenait eussent été emportés par les eaux. Nous pûmes constater l’existence de nombreux dépôts de charbon de terre ; et si jamais les incontestables richesses minérales de ce pays sont exploitées, l’industrie y trouvera réunies par la nature toutes les conditions nécessaires à son développement.

Pendant deux ou trois jours nous poursuivîmes ainsi notre route, jusqu’à ce qu’enfin toute navigation devînt absolument impossible. Alors nous dressâmes notre tente, la laissant à la garde de deux d’entre nous, pendant que le capitaine, Pat et moi, chargés de nos couvertures et de quelques provisions, partions, avec notre guide, pour finir notre exploration à pied.

La seconde journée de marche nous conduisit à la source de la rivière, située dans une passe élevée, au milieu même de la chaîne de montagnes. On dominait de là la chaîne de moindre hauteur qui circonscrit le Fraser à Lillooet, à environ 230 milles de son embouchure. De tous côtés ces montagnes nous offraient des traces évidentes de leur énorme richesse minérale, parmi lesquelles nous pouvions surtout distinguer des minerais de cuivre, de plomb et de fer. Nous y trouvâmes un village indien, gardé par quelques vieillards des deux sexes ; mais ils n’appartenaient pas à la même tribu que notre guide, et, bien que voisins, ils pouvaient à peine se comprendre. Ces Indiens n’avaient jamais vu d’hommes blancs ; ils en avaient seulement beaucoup entendu parler, et ils nous regardaient avec une surprise qui n’était pas exempte de terreur.

Nous leur donnâmes du tabac et un pain, ce qui leur inspira un peu de confiance ; notre guide leur montrait tantôt les montagnes et quelques échantillons de nos minerais, et tantôt se frappait la tête et riait, pour leur expliquer que nous étions de pauvres fous peu dangereux.

Nous rejoignîmes le lendemain soir, après une longue journée de marche, les deux camarades que nous avions commis à la garde de nos canots, et nous fûmes heureux de pouvoir jouir d’un jour de repos.

Nous résolûmes de retourner aussitôt à New-Westminster, et emmenâmes un des petits canots que nous avions achetés.

Deux jours plus tard nous arrivions à l’endroit où nous avions campé pour la première fois sur les bords de l’estuaire de la rivière Squamwish. Nous avions attendu la nuit pour nous arrêter, dans l’espérance que nous ne serions pas observés par les Indiens qui occupaient un vaste camp dont nous voyions les feux à environ cinq milles de là. Assez tard dans la soirée, après avoir fait cuire notre souper à un petit feu que nous avions allumé derrière de gros rochers, pour le dérober aux regards perçants de nos voisins, nous avions remarqué l’absence de notre guide indien. En le cherchant de tous côtés, nous nous aperçûmes qu’il s’était enfui avec notre petit bateau et une bonne partie de nos provisions. Heureusement pour nous, nos armes à feu et nos avirons étaient dans notre tente sous la garde constante de l’un de nous : sans quoi le gredin nous aurait sans doute dépouillés tout à la fois de nos moyens de défense et de nos moyens de fuite.

Nous comprenions parfaitement que son projet était d’avertir les Indiens et de revenir avec eux nous dépouiller et, si possible, nous tuer, pour éviter toute conséquence fâcheuse.