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Un grand nombre de personnes qui demeuraient au rez-de-chaussée dans le village coururent un très-grave danger. Le père du cordonnier Coppini, vieillard chargé d’années, entraîne par le débordement, retrouva assez de force pour s’accrocher aux barreaux d’une fenêtre. Il y resta trois heures, ayant de l’eau jusqu’à la gorge.

Ce simple récit d’épisodes terribles peut se passer de commentaires : les faits ont leur éloquence ; laissons-les donc parler eux-mêmes. Aussi bien, mon intention n’était pas, en faisant à nos jeunes lecteurs un tableau vrai et réel des malheurs que causent les inondations, d’exciter en pure perte la sensibilité de leur cœur. Ils sauront la manifester d’une manière efficace, en répondant à l’appel qui sera fait sans doute en France à toutes les aines généreuses, en faveur des victimes du fléau.

Ce que je me propose, c’est d’étudier avec eux les causes du mal, de leur dire comment la science et l’art de l’ingénieur ont cherché à en prévenir les effets, et ce qui reste à faire encore pour essayer de transformer en bienfait ce qui jusqu’ici n’est trop souvent qu’une occasion de ruines.

Tout le monde comprend sans peine que des pluies abondantes et surtout des pluies continues sont le plus souvent les causes déterminantes des grandes crues des rivières, de leurs débordements, en un mot des inondations. J’ai dit le plus souvent : en effet, il arrive aussi qu’elles sont produites par un phénomène naturel, périodique dans les pays de hautes montagnes, je veux parier de la fonte des neiges. En. Suisse et dans toutes les contrées alpestres, les hauts sommets se recouvrent en hiver de couches épaisses de neige que la basse température des-régions élevées maintient, pendant tout l’hiver et même pendant la première moitié du printemps. Quand alors les rayons solaires deviennent plus chauds et exercent leur action diurne en des durées qui vont croissant comme la durée des jours, le blanc linceul dont les montagnes sont recouvertes, peu à peu fond et alimente abondamment les sources nombreuses des torrents et des rivières. Mais alors c’est en été qu’ont lieu les crues périodiques des cours d’eau qui ont leur point de départ dans les glaciers ou dans les vallons des hautes montagnes. Le Rhône, le Rhin, le Pô, au moins dans la partie supérieure de leur cours, sont des fleuves soumis à ce régime des crues d’été provenant de la fonte des neiges ; tandis que la Seine, la Loire, la Saône, sont plus spécialement affectées par les pluies, de sorte que le maximum de leurs crues correspond le plus souvent à l’automne, la saison la plus abondamment pluvieuse dans nos climats.

Mais cette division des cours d’eau suivant le régime des crues, estivales ou hivernales, n’a rien d’absolu. Il est aisé de s’en rendre compte par des exemples. Le Rhin, jusqu’à Baie, est alimenté surtout par des affluents qui lui apportent les eaux des montagnes de la Suisse ; dans cette partie de son cours, ses crues sont donc principalement produites par la fonte des neiges et des glaciers ; à partir de Râle, ses affluents ne viennent plus de régions montagneuses élevées, et ce sont les pluies qui grossissent leurs eaux. Il en est de même du Rhône jusqu’à Lyon, dont les crues sont des crues d’été. À partir de ce point, le Rhône recevant les eaux d’une rivière importante, la Saône, qui est surtout gonflée par les pluies, les variations du débit de ce fleuve se trouvent compensées, d’où résulte pour lui un régime moyen plus constant, analogue à celui auquel se trouve soumis le Rhin à Cologne par exemple.

L’exemple des inondations que la Haute-Italie vient de subir prouve du reste qu’il y a des exceptions à cette loi, ou mieux que la loi générale comporte des lois particulières.

Ce n’est pas en effet à la fonte des neiges alpestres qu’est dû le gonflement du Pô, ni celui de ses affluents de la rive gauche : le Tessin, l’Adda, le Mincio sont tous cependant, comme le fleuve lui-même des rivières alimentées par les torrents des Alpes. Mais la saison exceptionnellement pluvieuse que nous venons de traverser, les orages continuels, les bourrasques qui caractérisent souvent d’ailleurs la période voisine des équinoxes, ont versé pendant un mois sur le bassin du Pô des quantités d’eau si considérables, qu’il en devait résulter nécessairement une inondation générale.

Les lacs, ces réservoirs naturels, ces régulateurs des rivières qui s’en échappent ; n’ont pas suffi cette fois à contenir la masse des eaux. En temps ordinaire, en recevant les eaux surabondantes des torrents, ils préviennent les funestes effets des crues rapides : ce eaux s’étalant sur une large surface n’élèvent le niveau du lac que d’une façon insignifiante ; le trop-plein s’écoule ensuite lentement, compensant dans les périodes de sécheresse l’effet des sources taries, d’où résulte une certaine constance dans le régime des rivières et des fleuves qui en dépendent. La nature nous donne ainsi l’exemple d’un moyen ordinairement efficace, propre à prévenir les débordements, les inondations et les désastres qui en sont la conséquence.

Arrivons maintenant aux moyens artificiels que les hommes opposent à l’invasion des grandes eaux des rivières et des fleuves.

Le système le plus généralement adopté est celui de l’endiguement. Sur tous les points ou les berges naturelles sont trop peu élevées pour contenir lu masse des eaux en temps de crue, on élève des ouvrages en terre qui, sous les noms de jetées, levées ou digues, longent le bord de la rivière à une distance suffisante, et défendent les plaines environnantes contre l’envahissement des eaux. C’est à l’aide de digues gigantesques que les Hollandais protègent le sol des Pays-Ras contre les inondations de la mer. Assurément, il y a là un moyen de défense, souvent efficace et qui rend en effet de grands services, mais qui parfois aussi rend le danger plus grand et les désastres plus terribles. Par les digues, le fleuve se trouve encaissé dans son lit ; il