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d’oiseaux d’un seul coup. A la faveur d’une pointe avancée couverte de bambous, nous montâmes le vieux canon sur l’avant du canot et fîmes feu dans le tas. L’énorme bande d’oiseaux s’envola comme un nuage noir, et, quand nous comptâmes les morts (le lecteur ne voudra pas le croire), il y en avait quatre-vingt-trois!

Il faut dire que dans ces parages le gibier est si peu familiarisé avec le danger qu’il ne se doute de rien et attend le chasseur. J’ai souvent tué dans les arbres des gelinottes à coups de pierre ou de bâton.

Le capitaine, qui était allé à la pêche avec quelques-uns des nôtres, revint avec une quantité de morue et de halibut (flétan, sorte de grosse plie qui ressemble au turbot); et Joe, qui rentra plus tard, parut avec un chevreuil sur les épaules, apportant la bonne nouvelle qu’il avait aperçu dans la forêt les traces d’un troupeau d’élans.

Le lendemain, Joe, le capitaine et moi étant partis longtemps avant le jour avec les trois seuls fusils que la compagnie possédât, nous aperçûmes, à l’aube, des traces fraîches se dirigeant vers un petit lac situé à une dizaine de milles dans l’intérieur. N’ayant pas de chiens, nous dûmes user de beaucoup de précautions pour pouvoir retrouver le gibier. Au bout de trois heures de marche pénible à travers les bois et le long des marécages, nous vîmes soudain une quinzaine de ces belles bêtes broutant dans une jolie petite clairière, sur le bord du lac.

Le bois s’étendant en demi-cercle autour de la clairière, le capitaine s’en alla d’un côté, en suivant la lisière du bois, et moi de l’autre, Joe restant à l’endroit où nous nous étions d’abord arrêtés.

Bientôt les élans nous aperçurent et, levant leurs belles têtes, ils aspirèrent bruyamment l’air et se formèrent en phalange serrée; puis le chef partit, et tous les autres le suivirent, se dirigeant le long du lac vers l’endroit où je me trouvais. Je les laissai arriver à une bonne portée et fis feu; le chef tomba. Les autres s’arrêtèrent d’un air étonné, puis, sentant soudain l’odeur du sang de leur compagnon, ils comprirent qu’un danger inconnu les menaçait, et, faisant volte-face, s’enfuirent dans la direction d’où ils étaient venus. Joe et le capitaine accouraient; se voyant cernés, les élans sautèrent dans le lac, mais trop tard pour empêcher deux des leurs de tomber sous nos balles.

Ayant fait, à l’aide d’une hachette que nous portions, un radeau de branches liées avec des cordes d’osier, nous plaçâmes notre gibier sur cette embarcation d’un nouveau genre, et, nous servant de perches, nous atteignîmes l’endroit où la petite rivière sort du lac. Le courant était si violent que nous ne pûmes remonter que de 2 milles, et surpris par la nuit tombante, nous quittâmes notre embarcation et nous en allâmes à travers bois, marquant les arbres à coups de hache tout le long du chemin, pour retrouver le lendemain l’endroit où nous avions laissé notre radeau.