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le petit garçon a des velléités de paresse ou d’insubordination, elle sait fort bien lui dire que l’on n’a pas le droit de se conduire ainsi quand on s’appelle Edmond Nay. M. Sombrette a fini par grouper toutes ses sœurs autour de lui, et il a trouvé de l’emploi pour toutes. Les aînés des Loret continuent à se promener le dimanche avec la famille, quoique ce ne soit plus guère la mode depuis que la jeunesse s’est émancipée, et qu’elle a conquis une noble indépendance. M. Aubry n’a plus du tout entendu parler de sa goutte.

Les anciens amis de Jean sont de jeunes messieurs très-bien mis et parfaitement insipides. Les parents se demandent avec inquiétude s’ils donneront jamais tous les fruits qu’avait promis leur enfance précoce. L’ex-jeune homme indécis est devenu un mari timide et indécis, assez durement mené, à ce que dit la chronique. La belle Hermance a pris le sceptre de la mode et donne le ton ; elle sait quels devoirs crée cette sorte de royauté, et son mari le sait bien aussi, le malheureux !

Le receveur particulier est devenu d’une misanthropie insupportable ; il ne compte plus dans la société ; de dépit, il épouse une vieille cousine pauvre, pour avoir quelqu’un qui le soigne, et contre qui il puisse maugréer à son aise.

C’est au milieu de ce petit train de vie que tombèrent les conférences de l’abbé Plâtre. L’abbé Plâtre était un jeune vicaire de Saint-Lubin, plein de cœur et de talent. Ses conférences s’adressaient surtout aux hommes et aux jeunes gens, mais les dames y étaient admises. La belle Hermance ayant annoncé qu’elle y assisterait, il fut de bon ton d’y aller.

L’abbé Plâtre parlait avec une éloquente simplicité. À certains mots qu’il accentuait davantage, comme poussé par une force intérieure, il y avait un frémissement dans l’auditoire. Il y eut des gens qui pleurèrent, sans songer à s’en cacher, tellement ils étaient pris par ce qu’il leur disait. D’autres, avec un air calme, sentaient leur cœur profondément remué et troublé ; mais c’était le petit nombre. Pour beaucoup d’auditeurs, la parole de l’abbé Plâtre était une musique agréable, une distraction distinguée, un passe-temps de bon ton, rien de plus. La jeunesse dorée éprouvait bien quelques petits tressaillements à certaines vérités présentées avec une éloquence irrésistible ; mais c’étaient les nerfs qui vibraient et non le cœur qui s’émouvait. On aurait rougi d’être ému, rougi de l’avouer. Une fois hors de l’église, on se vengeait par des plaisanteries et des calembours.

Le jour de la conférence sur la Famille, on songea moins à cacher son émotion : c’est un sujet sur lequel il est de bon ton de n’être point indifférent. Mais aucun de ces enfants du siècle n’en devint plus respectueux pour son père ; aucun ne se priva d’aller au cercle pour passer la soirée avec sa mère.

À ces accents vrais, au contraire, Jean sentait comme un écho qui répondait au fond de son propre cœur. Bien des choses qu’il avait seulement entrevues prenaient corps, pour ainsi dire, comme évoquées par la parole magique du prédicateur. L’émotion le prenait, des images chéries et sacrées passaient devant ses yeux. En entendant toutes ces choses grandes et fortes sur l’amour du devoir, sur l’amour du pays, sur le renoncement, il songeait à sa mère, à sa sœur, à tous ceux qui ont fait quelque chose de grand. L’oncle Jean frémissait à certaines paroles qui frappaient son âme, comme le son du clairon qui sonne la charge. Il entrait dans d’épouvantables colères, quand il entendait, au sortir de l’église, des petits jeunes gens imberbes dire d’un ton dédaigneux : que tout cela était bien vieux et bien rebattu ; que c’était de la déclamation ; que ce n’était plus la mode de partir pour la Croisade, ni de se faire trappiste. Là-dessus, ils allaient au cercle jouer au lansquenet ou faire une partie de billard en cent points. Tout était dit pour ce jour-là, et l’on recommençait le lendemain, et c’était là la vie.

Quoi qu’il en soit, l’abbé Plâtre n’avait perdu ni son temps, ni sa peine. Toute la bonne semence n’était pas tombée sur la pierre ou parmi les ronces et les épines. Il y eut, dans ce nombreux auditoire, plus d’une âme indécise qui fut à jamais jetée dans la bonne voie. Il y en eut plus d’une aussi où la vérité entra comme un glaive. Ceux-là vécurent encore longtemps de leur vie ordinaire ; puis, un beau jour, ils retrouvèrent au fond de leur cœur ce qu’ils avaient entendu jadis, et le monde, qui n’était pas dans leur secret, s’étonna de les voir changer.

Tant que durèrent les conférences, ce fut une véritable vogue, et l’on ne parla pas d’autre chose ; quand la série fut close, on en parla encore ; puis ce ne fut