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teau très-léger. L’endroit difficile à passer était celui où se rencontraient les deux courants contraires : le moindre faux mouvement pouvait faire chavirer ma frêle embarcation. Heureusement pour moi, il faisait chaud et je n’avais que ma chemise, mon pantalon et des pantoufles. J’avais aperçu des Indiens et leurs femmes qui se baignaient à un coude formé par le banc de sable, et, comme j’arrivais au passage dangereux, j’entendis une des baigneuses pousser un cri. Ce n’était rien ; la femme s’était un peu coupé le pied sur un rocher. Je m’étais follement retourné au moment même où je n’aurais pas dû perdre un seul instant de vue mon bateau. Tout à coup je sentis qu’il me manquait sous les pieds et je tombai à plat dans l’eau : l’embarcation s’en allait, emportée comme un morceau de bois.

Je me mis à nager de toutes mes forces ; mais, quoique bon nageur, j’étais stupéfait du peu de chemin que je faisais. Personne ne pouvait me porter secours, et je savais ne pouvoir compter que sur mes propres efforts. Voyant que je n’avançais pas et comprenant que, si je luttais ainsi, je verrais bientôt mes forces s’épuiser, je fis la planche et fus emporté par le courant, auquel je n’avais nullement la force de résister.

Je commençais à désespérer de mon sort et à penser tristement à ma famille et à mes amis, lorsque l’idée me vint que mon seul moyen de salut était de suivre le courant ; si j’étais entraîné au delà du tourbillon, je pouvais peu à peu me rapprocher du bord en descendant. Ce fut ce qui arriva ; une fois le plus grand danger passé, je jetai les yeux sur la rive et vit le pauvre Pat qui courait de toutes ses forces en criant et faisant des gestes désespérés. Un peu plus bas je vis quelque chose qui pour le moment valait encore mieux, une branche d’arbre flottant tranquillement sur l’eau. Quelques brassées m’y amenèrent, et, me jetant sur la branche que je serrai d’un bras, je me servis de l’autre pour me diriger vers le rivage. Je descendis ainsi le fleuve sur une longueur d’environ deux milles (3 kilom.) jusqu’à un endroit où les rives se rapprochaient un peu. L’eau était mortellement froide et les forces étaient sur le point de manquer à mes membres engourdis. Cependant à quelque distance j’aperçus un arbre déraciné donc le tronc, encore attaché à la rive, plongeait dans le fleuve. Je réussis à l’atteindre et m’y cramponnai avec la force du désespoir. Quelques minutes après, Pat arrivait, suivi du capitaine, qui portait une corde et une bouteille d’eau-de-vie. Ils me jetèrent la corde, que je saisis, et me tirèrent sur la rive, où je perdis connaissance. Quand je revins à moi, je vis Pat et le capitaine occupés à me bassiner les tempes avec de l’eau-de-vie. Ils me présentèrent la bouteille et j’en pris une gorgée qui, en toute autre circonstance, m’aurait ôté toute espèce de force, mais qui, après le bain froid que je venais de prendre, me remit sur mes jambes et me permit de gagner le camp avec l’aide de mes amis.

Le lendemain, à la pointe du jour, nous partîmes et descendîmes le fleuve sans autre peine que de gouverner notre embarcation. Une fois Fort Hope passé, nous pûmes déployer nos voiles, et vers midi nous arrivâmes à l’embouchure de la rivière Harrison. Nous avions une commission à faire dans le voisinage, à un endroit où d’immenses prairies, submergées à