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Le plus souvent, du reste, les erreurs sont le fait du peu de soin que prennent les envoyeurs de messages pour fournir les indications qui doivent en assurer la remise en bonnes mains. L’inadvertance est pour beaucoup dans les mécomptes. Croiriez-vous, par exemple, qu’en 1862 il fut jeté dans les boîtes de la poste 1 080 lettres qui ne portaient aucune suscription ?

Puis la plume a si vite fourché, pour peu que la préoccupation de la lettre qu’on vient d’écrire persiste dans l’esprit quand on y met l’adresse ! Que de lettres vont au rebut par la faute de l’envoyeur mais seulement que les employés, qui font souvent preuve en ce cas d’une singulière pénétration, ont épuisé toute leur patience et toute leur perspicacité.

Exemple par deux fois il m’est personnellement arrivé d’adresser à un ami, avoué à Lyon, rue de la Préfecture, une lettre sur l’adresse de laquelle j’avais écrit: Paris. Eh bien ! ces deux lettres sont arrivées tout de même.

Par suite de quelles déductions a été réparée mon erreur ? Je me l’explique ainsi: D’abord il n’y a point, de rue de la Préfecture à Paris, et le timbre de 25 centimes indiquait que la lettre visait un département… mais lequel ?

Il y a, au bureau des rebuts, tous les annuaires imaginables. Le nom de l’avoué s’est trouvé dans l’un de ces répertoires ; et la lettre a pris sa vraie direction. Il n’a fallu pour cela que du bon vouloir, mais voyez quel surcroit de travail pour un coup de plume donne de travers. Et que sera-ce donc quand se présenteront des cas comme ceux que signale M. P. Zaccone, dans son historique de la poste ?

Une lettre est mise un jour à la boite de Paris, elle porte une suscription ainsi conçue: « À M. Drrnard, sultan crête, Méditerranée. »

La lettre part, voyage, va, revient, cherchant partout son destinataire introuvable. Elle touche même en Crète, île de la Méditerranée. Mais là pas de sultan Bernard. Bref, elle revient à Paris, au bureau des rebuts, où un expert plus ingénieux rétablit enfin l’adresse deux jours plus tard elle était remise à M. Hernard, sur le Tancrede, navire en station sur la Méditerranée.

Voilà un tour de force !… qui, malheureusement, ne put être renouvelé, lorsqu’un Allemand qui avait passé l’hiver à Lyon, envoya de son pays, à son ancien hôte dont il avait oublié l’adresse, un lettre dont la suscription était libellée de la sorte: A M*" demeurant dans la maison à cote de laquelle il y a un tas de neige.

La lettre ne trouva pas son destinataire, mais elle fut religieusement retournée à l’expéditeur qui, sans s’émouvoir du contre-temps «Je comprends, fit-il ; ma lettre était bien adressée, seulement elle est arrivée à Lyon en été, au moment où il n’y a pas de tas de neige. » Et nul doute que l’hiver suivant, à l’époque « des tas de neige », il n’en écrivit une seconde… avec la même suscription ; cela va de soi.

Allons bonne chance aux cartes postales ! Faisons mentir les prévisions défavorables qu’il ne soit pas dit que nous aurons failli à bénéficier d’un progrès justement apprécié chez tous nos voisins ! Et, en tous cas, quand nous écrivons, mettons très-attentivement, très-clairement l’adresse, car nous y sommes les premiers intéressés.

Eugene Muller.