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même raison, nous en avons bientôt contracté de nouvelles qui se joignent aux anciennes. Si nous sommes de ceux qui ne vont que timidement en avant, au moins faut-il reconnaître que nous n’aimons nullement à retourner sur nos pas.

Ce qui est une fois adopté, au contraire, reçoit aussitôt chez nous une force de consécration telle, que pour maintes et maintes personnes, un progrès accompli en quelque sorte de la veille semble dater d’une époque fort reculée.

Combien même qui ont vu l’état de choses différent, et qui l’ont complètement mis en oubli ! Ils jureraient volontiers qu’il en alla toujours de même. Les voilà tout étonnés quand on leur dit : « Mais rappelez-vous donc ! — Tiens, c’est vrai ! » font-ils, comme si la remarque les ramenait soudain de l’autre monde.

À plus forte raison en doit-il être ainsi des jeunes gens, qui n’ont pas assisté aux transitions et qui ne trouvent pas dans la forme d’une institution les indices d’âge que leur fournit l’aspect d’un monument.

Pour la poste, par exemple, quel singulier changement on constate quand on sait, ou quand on peut, comme moi, remonter par le souvenir seulement à trente ou quarante ans !

En France, la taxe uniforme et le timbre-poste, qui en fut comme la conséquence immédiate, ne datent que de 1849. Jusqu’alors, le système avait prévalu de taxer en proportion de la distance parcourue. Ainsi, de Paris à Lyon, une lettre payait 80 centimes, et sans quitter le territoire, elle pouvait être frappée d’un droit s’élevant jusqu’à 4 fr. 50.

La rapidité du transport n’est venue que graduellement, avec l’établissement successif des chemins de fer (dont le premier ne date en France que de 1828) ; Il y a trente ans, une lettre qui maintenant traverse la France en seize ou dix-huit heures, voyageait encore pendant près de trois jours ou soixante-douze heures.

L’adoption du timbre-poste, si usuel, si commode, est venue marquer, presque dans tous les pays, ce qu’on peut appeler l’ère nouvelle du transport des messages. C’est, autant que je crois ; l’Angleterre qui réclame l’honneur de l’avoir tout d’abord employé ; et pourtant l’idée s’en révéla à Paris même, il y a plus de deux siècles, comme l’indique certain avis adressé en 1643 aux habitants de cette ville. Il est dit en substance dans cette pièce que les personnes qui voudront écrire d’un quartier à l’autre, auront l’assurance que leurs lettres seront fidèlement remises, si elles ont le soin d’y joindre ou attacher visiblement un billet de port payé. On trouvera de ces billets en vente pour le prix d’un sol ; on est engagé 7 à s’en munir en nombre convenable, afin que lorsqu’on voudra écrire, on ne manque pas pour si peu de chose à faire ses affaires.

On a la preuve que l’avis fut entendu, et que les lettres munies de billets de port payé circulèrent dans Paris, car on en possède encore une ainsi affrànchie, adressée à Mlle de Scudéry par le célèbre académicien Pellisson.

— Toujours est-il que voilà un véritable timbre-poste en usage au milieu du xviie siècle. L’essai ne fut tenté que dans l’intérieur de Paris, car Dieu sait de quelle piètre organisation jouissait alors le service postal des provinces. C’était le temps où Mme de Simiane, la petite-fille de Mme de Sévigné, pouvait dire avec un 1 semblant de réalité au cours d’une de ses lettres : « Je place un gentilhomme dans les montagnes du Forez, ou du Vivarais, afin que les nouvelles ne lui parviennent qu’au bout de deux ou trois mois. »

À cette époque les routes, peu nombreuses, mal entretenues, n’étaient rien moins que sûres ; et souvent encore les courriers qui effectuaient tant mal que*bien une espèce de service régulier étaient dévalisés, ou assassinés dans le voyage.

On fait généralement remonter l’origine de la poste en France au terrible roi Louis XI, dont la tortueuse politique avait besoin d’un système assez compliqué de correspondances ; mais le roi seul bénéficiait de cette organisation ; et d’ailleurs — ceci peut être remarqué à l’honneur des sentiments de famille toujours ingénieux dans leur manifestation — bien avant Louis XI, il existait' un système de courriers, qui avaient pour mission première d’entretenir la correspondance 'entre les écoliers de l’Université et leurs parents. Longtemps même l’Université eut le privilège du transport des messages, et quand, vers la fin du XVIIe siècle, un arrêté royal la déposséda, pour faire de la poste une institution affermée au nom de l’État, ce ne fut qu’en lui attribuant comme compensation une rente de 40 000 francs.

La poste, la vraie poste naissait, mais avec quelle lenteur le progrès devait s’accomplir !

Sous la Restauration, c’est-à-dire vers 1815, la plupart des courriers de province n’arrivaient encore à Paris que tous les deux jours : aujourd’hui les grandes lignes ont jusqu’à quatre ou cinq départs quotidiens.

En ce temps-là, les bureaux de Paris, au nombre de 9 ou 10, recevaient tout au plus 25 ou 30 mille lettres par jour, dont 9 ou 10 mille pour la ville. Aujourd’hui Paris seul compte 50 bureaux, 600 boîtes aux lettres, et dans l’année il passe aux mains des employés qui desservent ce service plus de 300 millions d’objets, soit environ 800 000 par jour. J’ajoute, comme détail significatif, qu’à l’époque du jour de l’an les seules cartes de visite reçues ou distribuées dans Paris s’élèvent au nombre approximatif de 4 millions.

Et tout cela est classé, envoyé dans les divers quartiers, remis dans les diverses maisons. On se demande comment la confusion ne se fait pas en cette multitude d’objets, et l’on est vraiment étonné que le chiffre des erreurs commises ne soit pas plus grand, car il est relativement insignifiant.