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sorts avec un raclement de talons sur le sol. Jusque-là Jean avait échappé à cette contagion ; trop occupé de ce que disait le professeur, il s’apercevait seulement à la fin de la classe que ses genoux étaient engourdis et ses jambes lourdes. Du jour où son attention fut partagée entre deux intérêts, il y eut en lui une lutte pénible, de l’impatience et des oublis.

Voici un exemple entre mille. On expliquait Virgile ; Énée évoquait les grandes images du passé, les fantômes des Troyens illustres qui avaient succombé ; le passage était pathétique. Énée sentait ses cheveux sa hérisser sur sa tête, sa parole s’arrêter dans sa gorge : il pleurait. Jean, préoccupé d’autre chose, étouffa un bâillement derrière sa main, et trouva, pour la première fois, que le pieux Énée pleurait bien souvent. Il se reprocha cette mauvaise pensée, et il y eut en lui comme une lutte entre son respect pour Virgile et une forte envie de le trouver importun. L’explication continue. Par malheur, voilà une autre catastrophe : Énée verse des larmes abondantes. Encore ! se dit Jean impatienté. Son attention se divise ; il le voit, il le sent, il le déplore, mais quoi qu’il fasse, elle se divise ; le visage souriant et la chevelure crépue de Robillard lui apparaissent entre les images désolées d’Hécube et de Priam, et flottent jusque dans les noirs tourbillons de l’incendie de Troie ! C’est trop fort. Il a en même temps des fourmillements dans la cheville droite, des lourdeurs dans la jambe gauche : c’est le moment.

Il a beau sentir que le professeur le regarde, que ce regard s’appesantit sur lui avec une sévérité inaccoutumée, rien n’y fait : il tourne la tête.

« Continuez, Defert ! » dit une voix trop connue.

Defert ne peut pas continuer, parce que Defert ne sait pas où l’on en est. Tout le monde le regarde, il devient rouge.

« Pour la première fois, dit le professeur au milieu d’un silence solennel, je ne vous punirai pas ; mais tenez-vous pour averti. » Jean tout confus revient aux malheurs de Troie, que l’élève Grémillon détaille d’une voix sépulcrale, avec accompagnement de contre-sens. Quand l’élève Grémillon a fini, l’élève Pitard, d’une voix de jeune coq enroué, continue; et les voix se succèdent, graves ou aiguës, lentes ou rapides, bredouillantes ou saccadées, mais toujours monotones. Jean les suit de son mieux et dévore son humiliation, lorsque tout à coup un petit papier se glisse dans sa main. Explique qui pourra ce phénomène étrange. Pas un élève n’a bougé, et le papier a passé de la main de Robillard, qui est à l’autre bout de la classe, dans celle de Jean, qui est sous les yeux mêmes du professeur. Jean ouvre le billet : « Mon pauvre vieux, disait Robillard, je t’en prie, ne te retourne plus, il (il, c’est le professeur, bien entendu) te regarde tout le temps et tu te feras une affaire. Tuus Robillardus. »

Jean mit précieusement le petit papier dans son portefeuille, afin de le garder en souvenir de l’audace et de la générosité de Robillard, qui s’exposait pour l’avertir. Désormais il n’eut plus que le nom de Robillard à la bouche. Il rêvait de Robillard.

A suivre

J. GIRARDIN.


LES CAUSERIES DU JEUDI

UNE CROISADE D'ENFANTS

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— Oncle Anselme, nous avons entendu dire qu'un certain nombre de personnes pieuse se réunissaient pour effectuer de compagnie le voyage, ou plutôt le pèlerinage de la Terre-Sainte.

— Eh bien! mes enfants, est-ce que cela ne voua remet pas en mémoire tout un ordre de faits, qui a singulierement marqué dans l'histoire du monde chrétien?

—Les Crposades, n'est-ce pas, oncle Anselme?

—Oui, les Croisades, qui, vous le savez peut-être, eurent pour principe les empêchement que trouvaient les pèlerins quand ils voulaient visiter le tombeau du Sauveur, ainsi que les persécutions exercées par les infidèles nmlre 1 rs chrétiens résidant en Palestine, Et. puisque le souvenir de ces dévotes entreprises i-l évoqué, je veux vous en signaler une dont je douta que vous ayez jamais entendu parler.

Un a voulu compter les uîsades et t'mi lie s est jamais accordé; c’est que pour être dans la vérité, il faudrait je croîs, dite qu'il n'y en eut qu nue, niais qui dura prés de deux siècles; car si pendant ces deux Siècles il y cul a telle un lelte lient des phases plus évident mieux accttflécs dans lu îtiouvement des croisés il serait presque iin possible de trouver l'heure où ce motivflment se suspendit complétement.

Mutnles fois, au lieu d années* c’élttienl du simples