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que souvent il ait à peine dormi, il doit se mettre en route pour les pacages qui sont quelquefois tres éloignés du parc, où il devra revenir la nuit tombante? Voilà, n'est-ce pas, pour un paresseux, une besogne quelque' peu rude et tracassante. El que de choses, de soucis, je passe sans les dire, qui se renouvellent tous les jours. Mais ce n'est que le courant, cela. Il a, en outre, le. grands travaux par exemple, le lavage et la tonte.

» Vous savez, ou vous ne savez pas, que la laine, sur le corps des moutons, est chargée d'une espèce d'enduit qu'on appelle le suint, et qui est utile à la sauté des bêtes, en cela qu'elle les préserve de l'humidité quand ils vivent dehors mais dont faut débarrasser les toisons quand on veut les vendre profitablement. A vrai dire, il y a beaucoup de fermiers qui vendent leur laine, comme on dit, en suint, c'est-à-dire sans la laver, et qui laissent le soin du la\age aux gens de commerce, de fabrique mais ils ont tort, le suint empêche qu'on se rende compte de la vraie qualité de la laine; et l'on traite alors à des conditions désavantageuses. Si donc (in doit faire ce qu'on appelle le lavciji', n dos, autrement dit le lavage sur la bêle nièine, avant de tondre, c'est au berner qu'en revient la lâche, l'our cela taire, il entre jusqu'à mi-corps dans quelque rivière ou ruisseau, portant avec lui un mouton qu'il tourne, retourne, frotte, secoue dans l'eau, jusqu'à ce que la loison soit propre. Quand il y en a deux ou trois cents à manipuler ainsi, je vous laisse à penser s'il lui ferait bon être de goûts paresseux. Après le lavage, c'est la tonte. Un bon berger doit tondre son troupeau lui-même, ou du moins surveiller ce travail il tout en y prenant part. C'est de la patience, de l'adresse qu'il lui faut alors,ou je ne m'y connais pas.

» Voilà, Monsieur, comment les bergers passent leur vie, et non pas comme vous le dites. Je vois même que vous faites du vôtre une espèce de musicien, mais dans la seule intention de lui fournir un passe-temps et un moyen de gagner quelques sous, en faisant sauter les garçons et les fillettes le dimanche jusque-là même vous passez à côté de la vérité, car la verité est qu'un berger qui sait jouer quelques airs de lil're | ou de muselle, fait jouir de ce savoir, avant tous i aulres, ses moutons qui, en l'écoutant, paissent plus Iranquilles, cl restent plus volontiers à l'entour Acx Ini..I'nul~·f· ù vouc lmrlrr des a(lain·s quc lr~ )mr~rn,~ lui..l'omets à vous parler des affaires que le berger, ^| dans certains pays, est à même d'avoir d'un moment i a l'autre avec les loups, des gaillards qui ne sont pas souvent de belle humour, et qui ne s'endorment pas si li1 berger ne se hh lien! pas éveillé. VA je™ ne vous parle pas des bergers qu'on appelle oyageurs, dont la ie i-l bien encore |ilu- nide. Allez \oir dan* les Alpes, en été, le> bergers qui viennent de Provence alle^Hj voir eu Espagne.. iM Mais j'en ai, je pouse^H assez dit pour youS^H montrer que la lainçH de. vos habits ne pou^H -<̃ pas tout fait san m tin sur le dos des^B moulons et asse^H pour \ons donner, j^H pense, quelque rogrelH d'axoir l' j'aime aS croire toutefois '|U^H c'est sanslr vouloii'B jeté des propos de d/î^B considération sur les bergers et j'estime que pareille idée ne nous viendra plus. Il est déjà trop d'une fois. Sans rancune cependant Monsieur. J'ai bien l'honneur de nous saluer. »

La lettre était signée d'un nom quelconque, sous la rusticité duquel se cachait très-évidemment pour moi la présence d'un très-apocryphe berger, qui s'était avisé de me donner, à sa manière, une leçon dont j'aurais voulu de mon côté pouvoir le remercier, bien qu'il en dût router quelques légers froissements à ma petite vanité paternelle.

Et voilà comment j'appris non-seulement a me défier de mes écarts d'imagination, mais encore à apprécier mieux que je n'avais su le faire jusqu'alors la laine de mes habits.

Eugene Muller.