Page:Le journal de la jeunesse Volume I, 1873.djvu/13

Cette page n’a pas encore été corrigée

Et il reprit sa route en sifflant, très-content do sa petite expédition, mais trouvant tout cela si naturel, qu'il ne songea pas un seul instant à s'en faire un mérite.

A suivre

J. Girardin

DANS L'EXTRÊME FAR WEST [1]


AVENTURES D'UN ÉMIGRANT DANS LA COLOMBIE ANGLAISE

CHAPITRE PREMIER

Le Départ

Un pays dont on entend rarement parler aujourd'hui, fit soudainement, — il nous semble qu'il n'y a (Je cela que quelques années, – un fort grand lirait dans le monde ce pays était la Colombie anglaise. Des récits merveilleux parurent dans le Times, et, dans ces récits. il n'était question que de la prodigieuse richesse des mines d'or de cet Eldorado, et des nouveaux et vastes champs qu'il offrait à l'esprit d'aventure des émigrants.

Étant jeune alors et plein de cet amour des entreprises lointaines qui caractérise la race anglosaxonne, je ne pus lire ces récits sans en être d'autant plus fortement impressionné, que la situation de cette colonie, isolée du monde civilisé, et sa nature vierge et sauvage, ajoutaient quelque chose de romanesque à ses autres charmes. Ce fut ainsi qu'ayant fait par hasard la connaissance d'un chercheur d'or récemment revenu d'Australie, ét qui se proposait de mordre encore à l'hameçon, je me déterminai à lui offrir de l'accompagner, pour chercher avec lui les aventures et, si possible, la fortune.

Nous eûmes bientôt formé nos plans, bouclé nos malles et pris passage pour l'Eldorado (vià Panama et San-Francisco) à bord du steamer qui fait le service de la malle entre Southampton et les Indes occidentales. Cent cinquante, aventuriers environ avaient pris .tontine.' i;-ous -pa'ssag.? sur l'avant, et faisaient sensation sur ce navire aux allures tranquilles, aristocratiques, respectables.

Bien que la plupart d'entre nous appartinssent par leurs antécédents à une classe supérieure à celle des passagers qui voyagent en troisième, nous formions, à l'avant, une compagnie fort mêlée. Il y avait un grand nombre de clercs, de commis, et d'autres jeunes gens de la même classe, qui, de leur vie, n'avaient touché un instrument île travail manuel; quelques fils de clergymen (pour !a plupart mauvais sujets accomplis), quelques hommes en qui on pouvait reconnaître les traces d'une éducation universitaire; un petit nombre d'israélites acharnés au commerce; et enfin quelques gaillards solides, reconnaissables à leur teint bronzé et à leur costume de mineur, pour des gens qui, de même que mon compagnon, avaient abandonné d'autres pays aurifères pour tenter la chance dans celui que l'on venait de découvrir. Ces derniers étaient nos héros. Que l'un d'eux vînt à s'asseoir n'importe où, et aussitôt un cercle de « nouveaux camarades » se formait autour de lui pour lui demander quelque récit de ses aventures ou profiter des leçons de son expérience.

L'opinion la plus généralement émise par ces vieux routiers était que leurs auditeurs n'étaient qu'un troupeau d'imbéciles, qui, s'ils avaient la moindre lueur de bon sens, s'empresseraient de retourner chez eux par le prochain steamer.

Notre voyage, en dépit des inconvénients inséparables d'un passage en troisième classe, fut très agréable. J'eus l'occasion pour ma part de faire de curieuses études de mœurs.

L'esprit de caste est la première chose (le mal de mer excepté) qui se manifeste parmi les voyageurs lancés sur les flots bleus. Il y a d'abord les passagers du grand salon, qui sont généralement de nobles hidalgos, et leurs familles, des officiers récemment mariés, des docteurs et des chapelains de régiments, se rendant à quelque station des Indes occidentales, et enfin quelques négociants aisés. Tout ce monde tombe bientôt sous la tutelle d'une sorte de comité de surveillance, formé de deux ou trois vieux messieurs, importants et bavards, qui ont déjà fait plusieurs fois le voyage, et qui prennent en peu de temps un empire despotique sur leurs malheureux compagnons. Ces ennuyeux personnages assomment sans cesse le capitaine et les officiers du bord d'absurdes questions nautiques dont ils ne comprennent pas eux-mêmes le sens, et qui n'ont d'autre objet que de tenir la masse ignorante et inexpérimentée de leurs compagnons sous le prestige de leur importance et de leur savoir. Ils sont toujours sur le chemin des matelots

  1. Le Far West (Grand Ouest) est le nom donné, en anglais aux pays qui s'étendent du Mississipi et des Grands Lacs jusqu'au rivage de l'océan Pacifique.