Page:Le journal de la jeunesse Volume I, 1873.djvu/123

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Ah bah ! se dit-il pour conclure, ma nièce doit comprendre qu’un garçon n’est pas une fille ; que dans le monde il faut se bien poser tout de suite. D’ailleurs, ce n’est pas Jean qui a commencé. »


CHAPITRE XVI


Jean se fait le précepteur d’un petit garçon vêtu d’une vareuse horriblement velue. — La « jeune France » en est toute scandalisée.


Le lendemain de sa victoire, Jean se rendait au collège aussi simplement que Cincinnatus retournant à sa charrue. Il songeait beaucoup plus à ses leçons du jour qu’à son triomphe de la veille. Aussi ne fit-il pas attention à l’admiration dont il était l’objet de la part d’un petit externe à vareuse velue. Le petit externe le suivait pas à pas, et ne cessait de le regarder. Les jours suivants, la même manœuvre se renouvela sans qu’il y prît garde. Peu à peu cependant la petite vareuse velue se rendit familière au point de marcher à côté de Jean. Un jour, Jean sourit, le petit collégien sourit aussi ; et chaque fois que Jean se retournait de son côté, il le retrouvait toujours souriant et lui faisant de petits signes d’amitié.

Les collégiens ne manquèrent pas de remarquer que Defert était toujours escorté de la petite vareuse, et ils criaient de loin : « Voilà saint Roch et son chien ! » La première idée de Jean fut de marcher plus vite pour se débarrasser de son admirateur importun. Mais le pauvre petit bonhomme parut si surpris et si désappointé, que Jean aima mieux braver les plaisanteries des externes que de lui faire de la peine. Il lui adressa même quelques questions sur son travail et sur ses progrès.

Le petit élève de huitième faisait de son mieux ; mais, n’ayant aucun secours à la maison, il se fourvoyait souvent : en fait de livres, il se trouvait réduit au strict nécessaire. S’il lui arrivait de passer un mot dans sa dictée ou d’avoir mal entendu l’indication des leçons, il n’osait s’adresser à aucun de ses camarades ; il avait essayé les premiers jours, mais on s’était moqué de lui, on lui avait donné de fausses indications ; il disait tout cela naïvement, sans rancune, et tout étonné que sa vareuse fût l’objet de tant de remarques satiriques. Cependant il ne se décourageait pas ; il prenait en bonne part toutes les observations du professeur, même celles qui auraient dû être le plus pénibles pour son amour-propre. « Ça ne va pas trop bien, disait-il simplement ; mais le père dit que ça ne peut pas manquer d’aller mieux plus tard. Oh ! certainement, ça ira mieux ; car le père sait bien ce qu’il dit ! »

Jean racontait à sa mère les chagrins de son nouvel ami. « Pauvre petit, disait Mme Defert, c’est pourtant touchant de voir un pauvre enfant, abandonné à ses propres forces, montrer tant de courage et tant de persévérance. Je connais la maison de ces braves gens : ils sont entassés les uns sur les autres ; je ne sais pas où le pauvre enfant peut trouver un coin pour faire tranquillement sa petite besogne.

— Il y a aussi, reprit Jean, trois cochons d’Inde, dont il me parle quelquefois, et un lapin merveilleux dont les gentillesses détournent son attention ; il résiste tant qu’il peut ; mais il dit que c’est plus fort que lui, et qu’il y a des moments où il faut absolument qu’il se lève pour aller l’embrasser. »

On parla d’autre chose, mais Jean venait de concevoir un projet ; il n’en dit rien, parce qu’il voulait le mûrir avant d’en faire part à qui que ce fût. Quelques jours après, ayant bien réfléchi, il alla trouver sa mère.

« Les devoirs de ma classe, lui dit-il, sont courts et faciles et ne me prennent pas tout mon temps. Il me semble que je pourrais aider le petit Loret, si tu n’y voyais pas d’inconvénient.

— L’idée est bonne, mais l’exécution présente des difficultés auxquelles tu n’as peut-être pas assez réfléchi. D’abord où le feras-tu travailler ?

— Oh ! je puis aller chez lui, si ses parents ne veulent pas qu’il sorte le soir.

— Cela les gênerait beaucoup d’avoir une personne étrangère au milieu de tous leurs petits tripotages.

— Eh bien ! si tu le permettais, il pourrait venir ici. La salle d’étude est assez grande. Je ferai volontiers le sacrifice de ne plus travailler le soir à côté de vous. Il pourrait être là avec moi, sous mes yeux, sans me déranger beaucoup.

— Soit, dit Mme Defert ; mais cet enfant a peut-être la tête un peu dure, il faudra lui répéter souvent la même chose : ne crains-tu pas de perdre quelquefois patience et de regretter ton entreprise ? C’est un enfant ; on aura beau lui répéter dans sa famille que c’est une grande bonté de ta part que de t’occuper de lui ; au bout de quelques jours, il trouvera la chose toute naturelle, et ne se gênera plus avec toi. Es-tu sûr de ne pas t’offenser de sa familiarité, de ses espiègleries, de ses questions en l’air,