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ni en arrière, comme pour ne pas empiéter sur les prérogatives du ciel, dont elle s'honore d'être issue.

Ce titre de Fils du Ciel, que porte l'empereur de la Chine, n'est pas d'ailleurs un vain titre. Pour les innombrables sujets qui peuplent son vaste empire, il est le seul médiateur entre les hommes et la divinité. Il est souverain temporel et spirituel. On l'adore. Si l'année est bonne, le mérite lui en revient. Si des calamités se déclarent, il est, par contre, soupçonné d'avoir failli aux bons' et- pieux rapports qu'il doit entretenir avec Dieu, "Et comme, paraît-il, le Fils du. Ciel prend essentiellement au sérieux sa divine qualité," on assure'qu'alors il s'humilie, jeûne, assombrit ses vêtements, suspend ses fêtes, jusqu'à ce que le bon accord paraisse suffisamment rétabli entre le Très-haut des cieux et le Très-haut de la terre.

Chaque, année, magnifique symbole du suprême "honneur rendu à la plus utile des professions, il doit en personne tracer un sillon, en conduisant de ses mains la charrue. Ajoutons'qu'il est considéré comme *le père de tous, et cette qualification est d'autant plus significative qu'en ce pays le respect, je pourrais dire l'adoration de l'autorité paternelle, est la première loi religieuse et civile. ̃

II est de principe, là-bas, qu'un père conserve toujours un droit' absolu sur ses enfants; s'ils se condui sent bien, c'est à lui, aux soins qu'il leur a donnés^ qu'on en attribue l'honneur; mais, s'ils faillent,,ils sont seuls responsables, pour avoir oublié les leçons et les exemples paternels.

Singulier peuple, dit-on souvent, et pourtant en examinant bien ses institutions. Mais ne philosophons pas retournons nw mariage de l'empereur actuel.

Née le 21 avril 1856, Sa Majesté Toung-chi n'a guère plus de seize ans. La couronne lui échut par la mort de son. père, en 1861, une année environ après cette expédition franco-anglaise, au cours de laquelle fut pillée et incendiée cette merveilleuse résidence de Yuvn-ming-yuen ou Palais d'Été, qui n'a pas moins de "cinq, ou' six lieues .d'étendue en tous sens.

Pendant sa minorité; le pouvoir a été exercé, nominativement paroles deux impératrices, sa mère et sa grand'mère paternelle, mais, en réalité," par son" oncle le prince Kong, frère de son père. Ce prince est le même qui y lors de l'expédition, avait été charge de tenir tète aux. troupes franco-anglaises pendant que le Fils dit Ciel, comme un simple et très-timide. enfant t de la terre, gagnait quelque lointain asile.

Les Fils du Ciel se marient ordinairement très jeunes. On assure que Toung-chi est même en retard. C'est que, depuis au moins deux siècles, il est le premier empereur qui n'ait pas été marié du vivant de son père, lequel est, en ce cas, suprême arbitre du choix de l' épousée. Il a fallu, en conséquence, consulter, compulser, controverser les textes des rites qui régissent la matière. Cela a pris du temps, et, au surplus, comme vous l'allez voir, la question même d'obéissance à ces divines prescriptions entraînait d'assez longs délais.

L'époque étant. venue où l'on a dû songer à donner une compagne au jeune empereur, après le travail méticuleux des docteurs, qui ont eu à commenter au moins deux cents volumes antiques, un appel solennel a été fait aux huit bannières (c'est-à-dire à la descendance des huit illustres chefs mandchoux, qui, au milieu du xvii° siècle, assurèrent à l'un d'eux la souveraineté du Céleste-Empire). Cet appel invitait les huit nobles lignées à conduire "au palais impérial les jeunes filles d'âge convenable, qui pourraient ou voudraient aspirer au suprême honneur du trône.

Il en est venu une centaine environ. Toutes ont été d'abord interrogées avec lu plus grand soin par les deux impératrices-mères.

Une soixantaine d'entre elles ayant d'abord paru en état de concourir, leurs noms ont été inscrits. On a ouvert une enquête sur chacune des familles. Pendant qu'on procédait à ces recherches de noblesse, de dignité, les docteurs ont dû tirer, avec tout l'art imaginable, l'horoscope de chaque concurrente, en recherchant s'il concordait avec l'horoscope personnel du jeune monarque. Il a fallu plusieurs mois pour cette difficile besogne.

Un second examen n'a plus laissé en présence que trente jeunes filles, qui ont été placées dans un palais, qu'elles ont habité un certain temps, pour qu'une sérieuse et minutieuse étude pût être faite de leur caractère, de leurs habitudes et de leur instruction.

Après une troisième élimination, qui n'a plus donné que des sujets très-dignes d'attention, nouvelle et plus scrupuleuse observation des moindres détails de leur manière, d'être et de vivre. Puis il en a été encore déféré aux deux impératrices, qui, non sans discuter; sans peser longuement toutes les conditions de ce choix, ont enfin arrêté leur vue sur la fille d'un grande nommé Tchoung-Ki, de la noble famille A-lo-to.

Une fois désignée, la future souveraine fut conduite dans une résidence spéciale, oit bien des jours s'écoulèrent encore pour elle dans la préparation au rôle sublime d'impératrice, c'est-à-dire dans l'étude fort compliquée du cérémonial en usage à la Cour du Ciel. ̃

Quand on la crut assez profondément imbue des manières, des principes inhérents à sa nouvelle dignité, le jour, ou plutôt la nuit du mariage fût fixée et annoncée en tous lieux; mais non pas, remarquez le bien,- dans le but d'attirer un grand nombre de curieux sur le chemin du cortège, qui devait la conduire du palais qu'elle habitait à la' 'demeure impériale. Au contraire, c'était une précaution pour que ce somptueux, ce merveilleux cortège se déroulât le long. de rues parfaitement veuves de spectateurs.

Au jour dit, chaque aboutissant: de rues, chaque fenêtre ouvrant sur le parcours avaient été masqués par des tentures magnifiques et décorés d'in-