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LE PÉLICAN

DU JARDIN D'ACCLIMATATION¹

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Le récit de M. Poussielgue sur la manière de pecher des pélicans nous parait d'aulnnl plus vrai, que les poissons, comme on sait, cmigrcnl à cei'laincs époques de l'année, et quand ils commencent à s'agiter et à se former en colonnes dans les vastes étangs ou les grands fleuves sur les rive. s desquels le pélican a fait élection de domicile, avis en est donné au public à son de trompe, et aussitôt tous les pécheurs se réunissent pour se concerter sur le choix du champ de pèche. C'est le plus communément une mise étroite dans le lac, et dans le fleuve quelque haut fond situé sous la chute d'un rapide. L'abondance du poisson, dans telle ou telle passe est, du reste, soumise au jugement des pélicans qui choisissent l'endroit de la pèche.

« L'option décidée, dit Toussenel, à l'unanimité des suffrages, un pélican, vieux d'un siècle, et expert en ce genre de travail, trace de l'aile la ligne de circonvallation ou d'investissement du poisson. A sa suite s'étagent avec ordre cent, deux cents pélicans, tout l'effectif disponible de l'armée, qui se posent sur l'eau l'un après l'autre en ligne, ayant grand soin de laisser entre chaque poste un espace" d'une douzaine de pieds, un peu [dus un peu moins, suffisant en tout cas pour assure à chacun le libre jeu de ses ailes. L'investissement opéré et l'anse hermétiquement bloquée, il s'agit de pousser le poisson à la côte. Le signal de l'opération est donné parle vieux pélican, le même qui s'est chargé de distribuer les postes.

« A ce cri retentissant, que répètent sur toute la ligne les sentinelles attentives, succède un bruit d'un autre genre, un bruit de trémoussement et d'ébatlement universel. Chaque pélican, se dressant sur ses pieds de toute sa hauteur, déploie son envergure immense, fustige l'eau du fouet de ses ailes avec un grand fracas, pique sous lui une tète verticale, ct^H exécute, sans bouger de place, une série de mouvements rapides qui font clapoter les (lois cl croire Ù^| la tempête.

«Le poisson, effrayé de ce tintamarre cl de ci' bon- ^H Inversement imprévus, s'enfuil dans toutes les direc- JH lions. Celui qui est emprisonné entre la ligne des^H pélicans et le rivage, cherche son salut vers la côte ^H c'est tout ce que désirent ses persécuteurs acharnés. ^M Toujours bruissant à la surface et fouillant nu-des-H sous, le cordon sanitaire gagne, gagne; les intervalles se rétrécissent, les sentinelles se coudoient; c'est j bientôt une muraille vivante, infranchissable, un lilel i a mailles serrées et saisissantes qui s'avance. Déjà le poisson, qui se voit acculé dans une impasse, qui sent que toute issue lui est fermée et qui rabote le sol en nageant, perd la lèle et s'élance dans les airs par bonds désespérés. Mais ce spectacle, qui ravit de joie le ^H pélican, ne lui fait pas perdre le sang-froid si nécessaire en pareille occurrence. Loin de céder à l'alliait de la convoitise lui l'entrainc-rail à rompre les rangs et à ouvrir une issue aux captifs, il redouble de vigilance à mesure que s'approche le moment suprême.

«La débandade est désormais sans péril, l'heure de la curée a sonné. Le commandement pille, pille! emplissez o oches f a retenti sur toute la ligne. Kt soudain, les longs cous, armés de larges becs, de piquer dans le las, comme le troupier dans la gamelle, et les sacoches de s'emplir et de s'emplir à crever. « Quand l'opération est bien conduite et que les ;^| pêcheurs sont en nombre suffisant, ce qui est la première condition de succès, la part de prise peut s'é- fllever dix livres pesant de poisson pour chaque actionnaire; et notez que le pélican n'admet guère j que des morceaux de choix aux honneurs de sa table I et qu'il dédaigne le menu fretin.

A suivre.

Ernest Menault

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