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voir là deux courants contradictoires ; ce sont les deux bras d’un même fleuve ; ce qui s’y reflète est différent, l’eau est la même. Ces palaces, ces rues américaines ou européennes, tout cela n’est qu’une façade. L’antique Japon est derrière, solide, entêté, héroïque et charmant.

Sauf peut-être le peuple anglais, aucun peuple au monde ne tient avec plus d’opiniâtreté à ses habitudes, aux particularités de son confort, à sa manière immuable de vivre et que partout il transporte avec lui. L’on dit qu’un Japonais ne peut vivre ailleurs qu’au Japon, c’est faux ; mais partout ailleurs il vivra malheureux. Et il est vrai qu’il n’est qu’au Japon qu’un Japonais veuille mourir.

J’erre dans cette foule où un passant sur dix est habillé à l’européenne. Je ne suis pas dupe de sa mascarade. Je sais que, rentré chez lui, dans cet intérieur où l’étranger ne pénètre presque jamais, cet homme d’affaires, ce financier, cet industriel se débarrassera de ses chaussures, quittera son complet, arrachera son faux-col, et que ces gestes seront symboliques : à ce moment, c’est tout l’Occident qu’il répudie. Ses petites servantes sont là, agenouillées sur le