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au Chaſteau ou ayant mis pied à terre, trouuerent la nappe miſe, lauerent les mains, & ſ’aſſirẽt en table, ie vous laiſſe à penſer la bonne chere que luy feiſt ſa ſœur. Apres diſner les Deux Damoyſelles commencerent à deuiſer du gouuernement de leurs maiſons & maris, ou Lucienne loüa grandement les vertus de ſon mary, l’aſſeurant bien que ſ’il eſtoit preſent, qu’elle ſeroit mieux traittee qu’elle n’eſtoit, priant ſa ſœur de l’excuſer. Anne en ſouſpirant la remercia luy diſant : Certainement ma ſœur, Dieu vous a faict vne plus grand grace qu’a moy, eſtant ainſi bien pourueuë de mary : & ne m’esbahys maintenãt de l’amitié que mon pere vous a touſiours portée au pris de moy, vous ayant trouué party ſi bien à voſtre deſir. Luciẽne luy reſpond : Il vous plaiſt de le dire, car ſans cõparaiſon vous eſtes plus richement & hautement mariee que ie ne ſuis. Anne luy diſt : laiſſons les richeſſes à part, ie voudrois ſeulement eſtre auſſi bien mariee que vous eſtes, & auoir vn mary duquel i’euſſe contentement, car à la verité ie ſuis auſſi mal pourueue de mary que pauure Damoyſelle qui ſoit en ce pays, & ne penſez pas que ie die ces propos pour vous porter enuie, ne qui vous puiſſe preiudicier : mais i’en donne le blaſme à noſtre pere, de m’auoir ſi mal pourueue. Lucienne reſpõdit pluſieurs fois : mon frere voſtre mary eſt venu ceans, de ſa grace, & a demeuré quelques iours, non tant comme nous deſirions, ou nous l’auons trouué en tous ſe faicts ſi honorable &