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& le feiſt tres bien penſer : ce neantmoins il deceda, dont le pauure pere & Lucienne furent grandement marris : & le feirent enſepulturer honorablement. Les funerailles faites le pere ſe retira à ſa maiſon, laiſſant Lucienne & ſes deux petis enfans.

Vn peu apres le pere print volonté de faire vn voyage en France : parquoy il delibera de feſtoyer tous ſes amis, entre leſquels il manda ſes deux filles. Anne n’oublia à continuer & braſſer ſa cruelle entrepriſe. Le bãquet fut beau & honorable : le pere meu de ioye, demanda du vin, Anne faiſant la bonne chambriere print la taſſe de ſon pere & y mit le poiſon dedans, ayãt fait verſer du vin d’vne alegreſſe, la preſenta à ſon pere, lequel beuuãt à toute l’aſſiſtance ſans ſoy douter du poyſon, dont en bref iours il deceda, au grand contentement d’Anne & de ſon paillard. Lucienne fut mandee aux funerailles du pere, laquelle amena ſes deux fils : eſtant arriuee Anne luy feiſt grande reception, la priant de venir loger en ſa maiſon, ce qu’elle feiſt, où elle feiourna quelque temps à la mauuaiſe heure : car ſa ſœur voyant l’heure propre à ſon deſſeing luy bailla vn pareil bruuage qu’elle auoit fait à ſon pere, parquoy la bonne Dame ſe ſentant fort malade, ſe retira en ſa maiſon, ayant laiſſé ſes deux enfans en garde à ſa ſœur. Eſtant arriuee ne ſeiourna gueres que la pauure Lucienne deceda, dequoy Anne aduertie feignant en eſtre bien marrie monta à cheual pour aller