Page:Le dictionnaire de l'Academie françoise - 1694 - T1 - A-D.djvu/8

Cette page n’a pas encore été corrigée
PREFACE.


On dira peut-estre qu’on ne peut jamais s’asseurer qu’une Langue vivante soit parvenuë à sa derniere perfection ; Mais ce n’a pas esté le sentiment de Ciceron, qui aprés avoir fait de longues reflexions sur cette matiere, n’a pas fait difficulté d’avancer que de son temps la Langue Latine estoit arrivée à un degré d’excellence où l’on ne pouvoit rien adjouster. Nous voyons qu’il ne s’est pas trompé, et peut-estre n’aura-t-on pas moins de raison de penser la mesme chose en faveur de la Langue Françoise, si l’on veut bien considerer la Gravité et la Variété de ses nombres, la juste cadence de ses Periodes, la douceur de sa Poësie, la regularité de ses Vers, l’harmonie de ses Rimes, et sur tout cette Construction directe, qui sans s’esloigner de l’ordre naturel des pensées, ne laisse pas de rencontrer toutes les delicatesses que l’art est capable d’y apporter. C’est dans cet estat où la Langue Françoise se trouve aujourd’huy qu’a esté composé ce Dictionnaire ; et pour la representer dans ce mesme estat, l’Académie a jugé qu’elle ne devoit pas y mettre les vieux mots qui sont entierement hors d’usage, ni les termes des Arts et des Sciences qui entrent rarement dans le Discours ; Elle s’est retranchée à la Langue commune, telle qu’elle est dans le commerce ordinaire des honnestes gens, et telle que les Orateurs et les Poëtes l’employent ; Ce qui comprend tout ce qui peut servir à la noblesse et à l’Elegance du discours. Elle a donné la Definition de tous les mots communs de la Langue dont les Idées sont fort simples ; et cela est beaucoup plus mal-aisé que de definir les mots des Arts et des Sciences dont les Idées sont fort composées ; Car il est bien plus aisé, par exemple, de definir le mot de Telescope, qui est une Lunette à voir de loin, que de definir le mot de voir ; Et l’on esprouve mesme en definissant ces termes des Arts et des Sciences, que la Definition est toujours plus claire que la chose definie ; au lieu qu’en definissant les termes communs, la chose definie est toujours plus claire que la Definition. Ainsi quoy qu’Aristote ait fait une definition excellente quand il a defini l’homme Animal Raisonnable, il est constant neantmoins que le mot Homme nous represente mieux ce qu’il signifie que cette definition. On en peut dire autant de ces verbes parler, marcher, estre, et autres semblables, qui font mieux sentir par eux-mesmes ce qu’ils signifient, que toutes les definitions qu’on en peut faire. Cela donneroit peut-estre sujet de croire qu’inutilement l’Académie s’est donné la peine de chercher les definitions des termes simples, qu’on avouë estre toujours accompagnées d’obscurité ; Mais quand on considerera qu’il n’y a presque point de mot dans la Langue qui ne reçoive differentes significations, et qu’il est impossible d’en donner des idées claires et distinctes, sans avoir estably quelle est la principale et quelles sont les autres, et en quoy elles different, tant à l’esgard du sens propre que du sens figuré ce qui ne s’apprend que par la Definition ; on reconnoistra en mesme temps l’utilité d’un travail qui a eu pour but d’expliquer la Nature et la Propriété des mots dont nous nous servons pour exprimer nos pensées, et l’on sçaura gré à l’Académie de ne s’estre point rebutée de toutes les difficultez qui ont pu se rencontrer dans l’execution de ce dessein.

Outre la Definition ou Description de chaque mot, on y a adjousté


les