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PREFACE.

nonciation d'une Langue qui luy est estrangere, doit l'apprendre dans le commerce des naturels du pays ; Toute autre methode est trompeuse, et pretendre donner à quelqu'un l'Idée d'un son qu'il n'a jamais entendu, c'est vouloir donner à un aveugle l'Idée des couleurs qu'il n'a jamais veuës. Cependant l'Académie n'a pas negligé de marquer la Prononciation de certains mots lors qu'elle est trop esloignée de la maniere dont ils sont escrits, et l'S en fournit plusieurs exemples ; C'est une des lettres qui varie le plus dans la Prononciation lors qu'elle precede une autre Consone, parce que tantost elle se prononce fortement, comme dans les mots Peste, veste, funeste ; Tantost elle ne sert qu'à allonger la Prononciation de la syllabe, comme dans ces mots teste, tempeste ; Quelquefois elle ne produit aucun effet dans la Prononciation, comme en ces mots, espée, esternuer ; c'est pourquoy on a eu soin d'avertir le Lecteur quand elle doit estre prononcée. Il y a des mots où elle a le son d'un Z, et c'est quand elle est entre deux voyelles, comme dans ces mots, aisé, desir, peser ; Mais elle n'est pas la seule lettre qui soit sujette à ces changements. Le C se prononce quelquefois comme un G, ainsi on prononce Segret, et non pas Secret ; segond et non pas second ; Glaude, et non pas Claude, quoy que dans l'Escriture on doive absolument retenir le C. Ainsi les Romains prononçoient Gaius, quoy qu'ils escrivissent Caius ; Amurga, quoy qu'ils escrivissent Amurca, selon l'observation de Servius sur le premier livre des Georgiques ; ce qui acheve de confirmer ce qu'on vient de dire que la Prononciation et l'Orthographe ne s'accordent pas tousjours, et que c'est de la Vive Voix seule qu'on peut attendre une parfaite connoissance de la Prononciation des Langues vivantes, et qu'on n'appelle Vivantes que parce qu'elles sont encore animées du son et de la voix des Peuples qui les parlent naturellement ; au lieu que les autres Langues sont appellées Mortes, parce qu'elles ne sont plus parlées par aucune Nation, et n'ont plus par consequent que des Prononciations arbitraires au deffaut de la Naturelle et de la veritable qui est totalement ignorée.

Aprés tous ces soins que l'Académie a pris pour conduire cet Ouvrage à sa perfection, et mettre la Langue Françoise en estat de conserver sa Pureté, il est à craindre qu'en rendant compte au Public de son travail, quelques-uns ne l'accusent d'avoir fait trop de cas, et de s'estre trop occupée de ces Minuties Grammaticales qui composent le fonds du Dictionnaire. Mais ce qu'ils appellent Minuties, est à le bien prendre la partie de la Litterature la plus necessaire. C'est ce qui nous fait entrer dans la connoissance des plus secrets ressorts de la Raison, qui a tant de rapport avec la Parole (2), que dans la Langue Greque la Parole et la Raison n'ont qu'un mesme nom. Le Vulgaire sçait bien qu'il parle et qu'il se fait entendre aux autres ; Mais les Esprits esclairez veulent connoistre les differentes Idées sur lesquelles nos Paroles se forment ; Ce qui en fait la Justesse ou l'Irregularité, la Beauté ou l'Imperfection, la Certitude ou l'Equivoque. Delà vient que plusieurs grands personnages se sont tres serieusement attachez à l'estude des mots. Le fondateur de l'Empire Romain, Jule Cesar au milieu de ses plus importantes affaires, fit deux Li-