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risque d’affliger l’ermite ; les solitaires vivent du passé ; n’ôtez rien à ce qui leur en reste !

D’Istel confus de la prière, et bien plus encore du son de voix qui la rendait pénétrante, oublia son galant enfantillage, et l’expia d’un air si charmant, que l’ermite, même, n’aurait pû lui en garder rancune. Mais au moment de restituer son larcin et de le replacer, à l’aide de deux longues épines qui l’enclouaient dans les fentes du rocher, il le rapporta mystérieusement à la reine en lui montrant des caractères presque illisibles sur le revers de l’acier ; la rouille du temps laissait encore deviner, à peu près, ces mots :

Pourquoi s’est-il lié si bien avec mon cœur,
Hélas ! que tout entier je n’ai pu le reprendre ?
Pourquoi m’avoir été si tendre… ou si trompeur ?
Si la mort voulait me l’apprendre ! »

— Où aller, pensa Marguerite, en faisant signe au page de rattacher le miroir ; où aller pour ne pas trouver les traces de ce qu’on veut fuir ? N’est-ce pas là le symbole d’un cœur brisé, rendu, repris à moitié ? ce qui reste réfléchit encore l’image qui l’y présente ; Dieu sait si la solitude et l’amour se lasseront de s’y montrer !

N’est-ce pas elle, ou son ombre, que je vois là-bas ? continua la reine, alors presque au pied de la route qu’il tardait à tous de reprendre, Regardez ! Dieu ! comme elle est faite ! que ses haillons sont bizarres ! comme ses cheveux sortent blancs et incultes, du lambeau rouge qui les retient ; quelle rude expression dans ses regards ; voyez donc : ils me font peur ; jamais un teint semblable n’a circulé dans ce monde comme un signe de la vie… Quoi, c’était là une femme ?… Hélas !