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tivité ; il lui semble que la vigueur que conserve son bras peut retarder la marche du temps et repousser la mort.

En attendant qu’on s’éveille à la ferme, Madeleine songe à gagner la grange pour se mettre à l’abri du vent qui souffle toujours âpre et glacial. Elle ouvre donc la porte de la grande cour, et s’étonne de ne point entendre les aboiemens que d’ordinaire n’épargne point Loulou, gros chien noir préposé à la garde de la ferme. Elle l’entend pourtant s’agiter dans sa niche, et s’en approche pour connaître le motif de son négligent silence. Mais de quelle surprise, de quelle émotion fut saisi le cœur compatissant de la vieille à l’aspect du tableau étrange et douloureux qui frappa ses regards !

Un enfant de cinq à six ans occupait de moitié la niche du gardien de la ferme ; c’était le petit Louis ; ses vêtemens déchirés garantissaient à peine son corps maigre et tremblottant. Étendu sur la paille, il portait avidement à sa bouche les morceaux de pain noir et trempés d’eau destinés à la nourriture du chien. Pendant qu’il vivait ainsi aux dépens de son nouvel ami, celui-ci debout près de lui léchait doucement son front, en remuant la queue, et semblait adopter cet être faible que la misère et l’abandon avaient jeté dans son asile. C’était à la fois cruel et touchant à voir que leur fraternité, que ce refuge choisi par une créature humaine, contre la protection de ses semblables… C’était aussi une image singulière et gracieuse, que cette jolie tête blonde tranquillement appuyée sur les flancs noirs de ce bon animal, dont les dents blanches et les yeux ardens brillaient au milieu de sa large tête.

Le chien fit entendre un grognement menaçant et prolongé, au bruit que fit en entrant Madeleine ; mais il se