Préface.
Quand on veut examiner de ſang-froid
les opinions des hommes, on eſt tout ſurpris
de trouver que, dans celles même qu’ils regardent
comme les plus eſſentielles, rien n’eſt
plus rare que de leur voir faire uſage du Bon-ſens,
c’eſt-à-dire, de cette portion de Jugement
ſuffiſante pour connoître les vérités les
plus ſimples, pour rejetter les abſurdités les
plus frappantes, pour être choqué des contradictions
palpables. Nous en avons un exemple
dans la Théologie, ſcience révérée, en tout
temps, en tout pays, par le plus grand nombre
des mortels ; objet qu’ils regardent comme
le plus important, le plus utile, le plus indiſpenſable
au bonheur des ſociétés. En effet,
pour peu qu’on ſe donne la peine de ſonder
les principes ſur leſquels cette ſcience prétendue
s’appuie, l’on eſt forcé de reconnoître
que ſes principes que l’on jugeoit inconteſtables,
ne ſont que des ſuppoſitions hazardées,
imaginées par l’ignorance, propagées par
l’enthouſiaſme ou la mauvaiſe foi, adoptées
par la crédulité timide, conſervées par l’habitude
qui jamais ne raiſonne, & révérées
uniquement parce qu’on n’y comprend rien. Les
uns, dit Montagne, font accroire au mon
de qu’ils croient, ce qu’ils ne croient pas ;
les autres, en plus grand nombre, ſe le font