Le bon-ſens.
Il eſt un vaſte Empire gouverné par un
Monarque dont la conduite bizarre eſt très
propre à confondre les eſprits de ſes ſujets.
Il veut être connu, chéri, reſpecté, obéi,
mais il ne ſe montre jamais, & tout conſpire
à rendre incertaines les notions que l’on pourroit
ſe former ſur ſon compte. Les peuples
ſoumis à ſa puiſſance n’ont ſur le caractère &
les loix de leur ſouverain inviſible que les
idées que leur en donnent ſes Miniſtres ; ceux-ci
conviennent pourtant qu’ils n’ont eux-mêmes
aucune idée de leur maître, que ſes
voies ſont impénétrables, que ſes vues & ſes
qualités ſont totalement incompréhenſibles ;
d’ailleurs ſes Miniſtres ne ſont nullement
d’accord entre eux ſur les ordres qu’ils prétendent
émanés du Souverain dont ils ſe diſent
les organes ; ils les annoncent diverſement à
chaque province de l’Empire ; ils ſe décrient
les uns les autres, & ſe traitent mutuellement
d’impoſteurs & de fauſſaires ; les édits &
les ordonnances qu’ils ſe chargent de promulguer
ſont obſcurs ; ce ſont des énigmes peu
faites pour être entendues ou devinées par
les ſujets pour l’inſtruction deſquels on les a