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LE BATAILLON DE CYTHÈRE

IV

LA TRAGIQUE HISTOIRE

C’était au grand 18, dans une maison de marque. La proximité de l’École militaire entretenait une clientèle renouvelée juste à temps par les changements de garnison ; la fatigue aurait pu faire déserter la maison. La patronne était très digne,

Depuis douze ans, elle en avait alors vingt-neuf, madame tenait l’établissement, seule, et elle songeait ce soir-là, souriant à ces dames sans les voir, que quatre années encore lui suffiraient pour atteindre le résultat fixé ; encore quatre ans d’une vie dont elle se lassait enfin, et à son tour, elle pourrait se reposer, se coucher de bonne heure, n’avoir plus tout ce bruit, ce tapage autour d’elle ; elle pourrait enfin jouir de la vie paisible, ambitionnée dès les débuts.

Et son secret qu’elle pourrait enfin dévoiler, son enfant qu’elle n’aurait plus à cacher, à élever loin de ce cloaque, cette pourriture, comme elle disait dans les heures de dégoût ; son fils qu’elle avait placé en pension, chez un brave homme d’instituteur, à l’autre bout de Paris ; il suivait les cours d’un lycée et, quand il aurait l’âge, il concourrait pour Saint-Cyr.

Et son sourire se faisait malicieux en rêvant à son grand garçon en uniforme coquet, sortant les mercredis et les dimanches pour venir embrasser sa mère, rentière aisée dont il ignorerait toujours la véritable pro-