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LE BATAILLON DE CYTHÈRE

d’accord : la fille a pour Madame le respect que celle-ci réclame, et parfois, lorsqu’elle est aimable et pas trop dure, une certaine amitié !

Partout la vie est la même dans ces maisons, luxueuses ou misérables, où le jour et l’air pénètrent à peine, où l’atmosphère lourde, surchargée de parfums violents, donne aux femmes d’effroyables migraines. À part deux ou trois maisons spéciales et renommées où les pourboires prennent des allures de traitements de fonctionnaires, les femmes en sortent généralement pour passer dans un autre, semblable ou à peu près, mais toujours sans un sou ; elles sont devenues des colis, une marchandise, qu’on échange à volonté.

Depuis longtemps, la volonté, chez elles, est morte, noyée dans l’absinthe, les alcools, le tabac, l’abrutissante paresse des longs jours vécus dans une salle surchauffée, des lentes heures passées à jouer aux cartes, à faire des réussites auxquelles elles ne demandent même plus de réussir, tout désir, tout espoir ayant disparu ; il ne leur reste plus qu’un vague malaise, une appréhension confuse des années qui s’écoulent dans cette torpeur, les amenant insensiblement, sans qu’elles s’en soient préoccupées une heure, au fatal, au brutal renvoi, alors qu’elles ne sont plus que guenilles, bonnes tout au plus à peupler les innombrables bouges des barrières.