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LE BATAILLON DE CYTHÈRE

— P’t-être pas !

— Viens tout de même, fait la femme qui a compris ; c’est un râleur, elle en tirera ce qu’elle pourra.

L’autre, sa compagne restée toute seule, bat l’asphalte d’un pas plus rapide, chantonne pour se distraire en attendant le retour de la travailleuse.

Dix minutes se passent, elles se rejoignent.

— Combien ?

— Quarante sous, ma chère, et avec ça exigeant comme tout. C’est épatant, ces cochons-là faudra bientôt turbiner à l’œil ! Allons boire un punch, dis ! Elles s’éloignent, bientôt rejointes par un homme qui fond sur elles, cogne sur celle qui sort du turbin comme elle l’a dit, lui prend la braise et s’en va en proférant des menaces terribles.

— J’te crèves si tu bouges du bitume ! s’pèce de feignante.

Pleurante, décoiffée, la figure rougie par la bâfre, la femme se remet à sa promenade, résignée, elle sait qu’il n’y a pas de rébellion possible, c’est son homme, il a tous les droits. Au reste, il la protège contre tous ceux auxquels il prendrait fantaisie de le suppléer dans la distribution libérale gnons.

Pauvre soldat ! voilà son sort ! à peine une boule de son péniblement gagnée, son protecteur à lui, à l’encontre de ceux des gradés, lui dévore, lui boit tout, lui laissant à peine de quoi suffire à l’entretien de ses haillons, tandis qu’il guette patiemment chez le troquet, contrôlant ses passes, venant à la caisse aussitôt qu’il la voit réapparaître.