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LE BATAILLON DE CYTHÈRE

repos salutaire et administratif leur permet de rentrer bientôt dans le rang et de combattre à nouveau.

Dès la tombée de la nuit, la campagne commence, les embuscades se dressent ; les éclaireurs, reconnaissables à leur démarche traînante, au déhanchement invétéré, s’en vont faire le guet et la lutte s’entame ; le passant sollicité, frôlé, capté, doit céder, sinon les injures, les menaces pleuvent ; bien heureux si juge de prise douteuse il peut d’éloigner sans encombre ; le malheur veut-il qu’il inspire confiance ; l’araignée du soir l’enlace, donne au souteneur prévenu le temps d’arriver… et promptement on l’assomme, on le dépouille, et s’il a le mauvais goût de témoigner par ses cris autre chose que de la satisfaction, les couteaux ne sont pas fait pour seulement peler des pêches.

Ne soyons pas si noir, bien qu’encore fréquent ce tableau l’est moins que cet autre :

Boulevards extérieurs huit heures du soir à une heure du matin, hiver ou été, au choix.

Des femmes vont et viennent par groupes, dans un espace restreint ; elles causent de la dureté du temps, de la rareté du client, de son avarice, de ses exigences, du marlou et de sa jalousie… Un miché probable s’avance, les femmes se séparent, l’une d’elle attaque :

— Viens-tu beau garçon ? je suis très polissonne.

— Pas ce soir, j’ai pas le rond.

— Mais si, t’as bien deux francs ?

― J’te dis que j’ai pas le rond !

— Voyons, t’as trente sous !