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Le uoyage des Princes


des mauuaiſes viandes & corruptibles à putrefaction infecte, telle que la nourriture ordinaire de ces animaux rauiſſans, & que ſon eſtomac fut netoyé ceſte puanteur ceſſa. En ceſte familiarité nous priſmes habitude mutuelle, & priuauté auec aſſeurance l’vn de l’autre, tellement que ie le touchois où ie voulois, ie lui mettois la main entre les dens, & il me leſchoit les doigts, ceſte façon de viure nous fit contracter telle amitié qu’il ne me fit aucun deſplaiſir, & ie ne luy en pouuois faire, & de fait ie n’euſſe oſé & depuis ne le voudrois, quand ie le pourrois. Il eſt bien vray que i’auois neantmoins toutes ſes faueurs vne friuole peur, qui me faiſoit penſer qu’au renouueau il feroit de ma triſte chair gorge fraiſche auant que s’en aller. Ceſte apprehenſion me rendit ſi deuot, que i’eſpere qu’à mon imitation pluſieurs embraſſeront la pieté : quand i’auray donné au monde le pourtrait des mouuemens interieurs qui m’y ont pouſſé. Or il y a treze iours que deſia, ainſi que ie pouuois iuger, le temps eſtoit clair & beau, & mon Dragon humant ceſte douceur leuoit le nez, vers la iourniere de la grotte, à laquelle il vola & ſortit, puis reuint enuiron vne heure apres, & ſe mit à me faire plus de careſſes qu’auparauant : Il ſembloit qu’il me raconta des nouuelles du beau temps : Ceſte beſte ſe gliſſoit contre les bords de l’ouuerture, dont la mouſſe tomboit, & durant trois iours continuoit ce labeur, ſortant & reuenant, & à chaque retour il me faiſoit infinies douces demonſtrations que ie ne pouuois bien entendre : à la fin comme me voulant perſuader expreſſément, il me fit