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« Faut bien rire ! » était, avec « Ivrogne, mais honnête ! », sa locution la plus habituelle, une sorte d’épiphonème qu’il lançait, comme un point d’orgue, à la fin de chaque période de ses clabaudages et diatribes.

Sans doute parce qu’il s’était ingénié et était parvenu à jouer du flageolet avec son nez, Césarin avait certaines prétentions en musique et se croyait un connaisseur. Je le vois encore, un dimanche de Pâques, à l’église Saint-Étienne, écoutant le chant des orgues, et battant la mesure de la tête et du pied, en donnant par instants des marques d’approbation ou d’improbation.

Mais où Césarin apparaissait avec tous ses avantages, dans toute sa splendeur, c’était aux fêtes de mariage, quand, sous prétexte d’ouvrir les portières et de tendre la serviette destinée à protéger du contact des roues les robes des invitées, il avait réussi à se faufiler à la suite de la domesticité et attraper sa part du festin. Quelle franche lippée, ces jours-là, quelle formidable beuverie !

C’est au sortir d’une de ces bombances que ce disciple de Panurge, — disciple tout à fait inconscient et qui bien certainement n’avait jamais ouï parler de son maître, — posté sur le petit pont, à l’angle de la caserne, admonestait en ces termes les soldats de la garnison :

« Voyez-vous, mes enfants, moi, dans ma vie, j’en ai bu de toutes les broches, du blanc et du rouge, du bon et du mauvais… Mais il n’y a personne à Bar qu’en ait bu autant que moi… autant que Césarin !… Personne ! V’là ce que vous pourrez affirmer sans crainte partout, mes enfants, quand vous rentrerez dans vos foyers !… »

Des mots de lui, d’amusantes ou impertinentes et cinglantes reparties, c’est par milliers qu’on en pourrait citer.

« Vous dites que je suis soûl, m’sieu Colignard ? C’est bien possible ! Mais Césarin n’est pas comme vous, lui ; il aime mieux être soûl que d’être bête : ça dure moins longtemps. »

« Soyez tranquille, m’sieu X…, on peut ne pas être réélu député, mais on est toujours certain de rester… mari trompé ! V’là l’avantage ! » C’est à peu près en ces termes qu’il apostrophait, au lendemain d’une élection, un ex-représentant du peuple, célèbre par ses mésaventures conjugales.

Trois archiprêtres s’étaient succédé, dans l’espace de quinze ou vingt ans, à l’église Notre-Dame, MM. les abbés Barry, Gallet et Tripied. Voici de quelle façon Césarin résumait son opinion sur ces représentant de Dieu : « La galette ne valait pas le baril ; mais la tripe vaut encore mieux que la galette ! »

Ce qui ne l’empêchait pas d’ajouter que s’il absorbait autant de canons, c’était pour arriver plus vite à la canonisation.

Un matin, vers les dix heures, le secrétaire de la mairie, M. Michaux, l’envoie quérir pour je ne sais quelle affaire de police municipale. Maître Césarin, qui avait un culte tout particulier pour l’eau-de-vie de marc du pays, avait déjà lampé une demi-douzaine de petits verres ou godots de l’odorant liquide et exhalait un fumet aussi capiteux que désagréable.

« Pfff !  ! Oh ! n’approchez pas si près, Césarin ! s’écrie M. Michaux, en se bouchant les narines. Oh ! le bouc ! Pfff !! Vous sentez !…

— Non, m’sieu Michaux.

— Comment, non ? Je vous dis que si, moi ! Pfff !!!

— … Mande bien pardon, m’sieu Michaux. J’pue, mais c’est vous qui sent ! »

D’autres fois, faisant allusion précisément à cette quantité de godots d’eau-de-vie de marc qu’il absorbait :

« Césarin mourra de la goutte, lui, tout comme les feignants, les vieux richards… Autant c’te maladie-là qu’une autre, pas vrai ? Faut bin rire ! »

Et ses farces, les scies imaginées par lui pour faire pièce aux gens qu’il avait pris en grippe !

Pendant longtemps, tout le temps de son séjour à Bar, M. Hennocque, substitut du procureur impérial, fut de ceux-là.

Un jour qu’il pleuvait, Césarin le rencontra au moment où il descendait l’escalier du tribunal et ouvrait un superbe parapluie de soie violette à manche garni d’ivoire.

« Oh ! lebeau parapluie qu’a m’sieu Hennocque ! Oh ! le beau parapluie !!… Mais voyez donc le beau parapluie que tient m’sieur Hennocque ! Oh ! le beau parapluie !!!